Pourquoi choisir la colocation entre seniors?
Les modèles de colocation entre seniors foisonnent en Europe et en Suisse. Ce mode de vie fait pourtant peu d’adeptes. Pour qui et comment mettre en place une colocation choisie? Quels écueils éviter ? Quels bénéfices en espérer ?
Par Cathy Berthouzoz, coordinatrice, et Leila Raboud, stagiaire post master, Plateforme 60+, Promotion santé Valais
La colocation est un phénomène qui a toujours existé. D’abord dans les familles où plusieurs générations cohabitent, comme c’était le cas dans nos campagnes. Cette organisation perdure dans certaines sociétés actuelles traditionnelles comme la société indienne, par exemple, où plusieurs membres d’une fratrie se regroupent sous un même toit, lorsque les moyens de subsistance ne suffisent pas pour vivre en toute indépendance.
Dans notre société, la colocation s’est étendue aux étudiant.e.s, pour qui partager un appartement réduit les frais de formation lorsque le cocon familial est trop loin de l’université ou de la haute école. C’est pourquoi elle est plus importante dans les cantons universitaires que dans les autres cantons.
La colocation par choix de vie
La colocation entre adultes non reliés par des liens familiaux est beaucoup plus rare, surtout dans des cantons périphériques comme le Valais. Cependant, avec la précarisation des conditions de vie, chômage et divorce en tête, elle devient une option temporaire, jusqu’à la remise à flots, qui permet à la personne concernée de vivre dans un logement individuel. Les colocataires par choix de vie sont encore plus rares, spécialement les seniors, c’est-à-dire toute personne âgée de plus de 55-60 ans.
Le modèle de la colocation entre seniors est une solution qui a été envisagée dans de nombreux pays. Des projets ont vu le jour notamment en Belgique grâce à l’antenne Andromède (Colson, 2018) qui a mis à disposition des personnes âgées une colocation à 5 dans de petites communautés de vie avec, entre autres, les visites régulières d’une aide familiale et d’un médiateur. Au Royaume-Unis, le concept Abbeyfield (Abbeyfield, 2018), né il y a plus de 50 ans, offre un habitat groupé de taille familiale composé d’appartements individuels. Les seniors s’investissent activement à l’organisation du lieu de vie et se répartissent les tâches et responsabilités, tout en étant autonomes et indépendants.
Quant à la Suisse, face à la multiplicité des offres en matière de logements adaptés aux seniors et à l’hétérogénéité des termes utilisés, Curaviva [1] a proposé un lexique romand unifié réunissant les principales solutions d’habitat pour les seniors en Suisse, dont la colocation intergénérationnelle, la colocation avec encadrement médico-social, tels les appartements Domino (Passelo, 2018), le logement semi-communautaire et communautaire, sans encadrement médico-social. Le bâtiment « Diabolo menthe » à Fribourg est un bel exemple de logement semi-communautaire : il abrite 42 logements pour aîné.e.s, avec des espaces communs destinés à tisser des liens sociaux entre locataires, et dispose d’une « conciergerie sociale », une prestation de Pro Senectute Fribourg, qui rend de menus services et facilite la vie communautaire (Diabolo Menthe Fribourg, 2018).
Ombre au tableau : aucun site internet spécialisé en colocation seniors n’existe en Suisse, contrairement à la France, par exemple, qui dispose de plusieurs plateformes [2]. Le développement de tels moyens est nécessaire, internet restant l’outil numéro 1 pour se trouver des colocataires compatibles rapidement et simplement.
A qui s’adresse la colocation entre seniors ?
Dans le lexique de Curaviva, le logement communautaire s’adresse à des « personnes âgées souhaitant vivre avec leurs semblables, partager avec eux la gestion domestique quotidienne et se soutenir mutuellement ». Le logement semi-communautaire s’adresse quant à lui à des « personnes âgées souhaitant partager leur quotidien avec leurs pairs dans une formule associant la possibilité de gérer sa propre sphère privée avec la participation active et engagée à une vie communautaire ».
La colocation entre seniors s’adresse en particulier à des personnes d’âge mûr, qui ont un intérêt à vivre avec d’autres personnes et qui ont du plaisir à partager leur quotidien. Elle est donc très bien adaptée à des seniors qui ont toujours vécu avec un.e conjoint.e, qui se retrouvent seul.e.s après un veuvage ou un divorce, et pour qui vivre seul.e est inimaginable ou au-dessus de leurs moyens (Fattebert Karrab, 2014). Les célibataires et les couples peuvent aussi avoir un intérêt à vivre en colocation, par exemple après la perte du logement familial ou un déménagement après la retraite. Typiquement, le Valais de par son climat très ensoleillé attire beaucoup de retraité.e.s qui n’y ont pas forcément de réseau social très fort. La colocation est un bon moyen pour s’intégrer dans le tissu social du nouveau lieu de résidence.
Les colocataires sont des personnes autonomes, qui ne nécessitent pas de soins ou d’accompagnement spécifique, il y a d’autres structures dans ces cas-là, comme par exemple les appartements Domino. Les colocataires, par définition, louent leur logement, ils ne le possèdent pas. Par extension et abus de langage, elle s’adresse aussi à des propriétaires qui mettent à disposition leur logement à d’autres personnes et partagent les frais de gestion du logement, comme si c’était un loyer.
Un.e colocataire a la possibilité d’intégrer une colocation déjà constituée, lorsqu’un espace devient libre. Une colocation peut aussi se constituer par un groupe d’ami.e.s qui décident de vivre ensemble et qui soit achètent soit louent un logement.
Les bénéfices de ce mode de vie
Les bénéfices de la colocation entre seniors sont multiples (Maintien à domicile, 2018 ; Le Monde, 2012). Ils sont confirmés par l’étude récente de Noschis (2018).
Au niveau individuel, la colocation entre seniors a tout d’abord des bénéfices financiers pour chaque colocataire, puisque toutes les charges du logement sont partagées (loyer, charges, entretien, taxes radio-télévision, internet, téléphone fixe, assurances).
Elle a aussi des bénéfices psycho-sociaux, puisqu’elle préserve les colocataires de la solitude, fléau numéro un parmi les personnes âgées restant à domicile. Les interactions sociales entre les colocataires eux-mêmes sont enrichies de celles avec la famille ou les ami.e.s et connaissances des autres colocataires.
De plus, elle a des bénéfices sanitaires : manger ensemble, éventuellement cuisiner ensemble, permet de mieux s’alimenter donc d’éviter des troubles alimentaires, qui dans certains cas vont jusqu’à la dénutrition, et tous les maux qui en découlent. A deux ou plus, il est plus facile de s’entraîner à avoir une activité physique, telle qu’une marche le long d’une rivière ou du jardinage, mesure de promotion de la santé par excellence.
On peut aller un peu plus loin et voir les bénéfices environnementaux de la colocation entre seniors, puisque les logements occupés par plusieurs personnes ont moins d’impact sur l’environnement.
Finalement, la colocation entre seniors génère des économies pour le système de santé puisque des seniors qui vivent en colocation restent en santé plus longtemps.
Un rôle de facilitateur pour les communes
La colocation entre seniors est une initiative individuelle, privée. Pour les propriétaires de leur logement, cela est relativement facile, puisqu’il suffit de trouver un.e ou plusieurs colocataire(s), au moyen d’une petite annonce, soit dans un journal local, soit sur un site de colocation, ou par bouche à oreille. Pour les locataires, il faut au préalable demander à sa régie ou son propriétaire la permission de le faire. Finalement, pour les ami.e.s et ou connaissances qui veulent commencer une colocation, il faut passer par la recherche du logement adapté au nombre de colocataires.
Dans une vision de promotion de la santé, les communes pourraient par exemple tenir un registre des personnes, propriétaires ou locataires, qui habitent seules et qui voudraient partager leur logement et proposer aux personnes seules de s’inscrire dans le registre, sur une base volontaire, bien entendu. La caution communale permettrait de donner confiance au propriétaire du logement, qu’il habite le logement ou qu’il le loue, et aux colocataires, ainsi qu’à la régie qui gère éventuellement le logement.
Pour faciliter la cohabitation entre personnes différentes qui ont chacune leur caractère, leurs habitudes et leurs petites manies, le « Manuel de survie des seniors en colocation » (Baumelle, 2012) propose différentes méthodes et outils pratiques bien utiles, comme par exemple définir une charte de fonctionnement, des modalités d’accueil des petits-enfants, des réunions de régulation. Elle a aussi défini 9 étapes incontournables à passer pour une colocation réussie : faire un état des lieux de sa vie, ses attentes, ses peurs et faire un test d’aptitude à la vie en colocation par exemple dans un gîte ; rencontrer des personnes qui ont aussi un projet de vie collective ; choisir deux ou trois personnes et se réunir pour développer le projet commun ; construire la cohésion du groupe ; rechercher l’habitation ; décider en commun de l’ameublement et de la décoration ; emménager ; prendre ses marques ; vivre au quotidien.
L’expérience de deux sœurs
Janine et Gabrielle sont sœurs et habitent ensemble depuis trois ans et demi chez Janine. Les motivations de Janine pour cette colocation ont été le veuvage de sa sœur et son souhait de revenir en Valais. Elle en a parlé à son compagnon, qui a donné son accord.
Gabrielle a accepté la colocation chez sa sœur pour ne plus être seule, ce qui impactait sa santé. En effet, n'ayant jamais aimé cuisiner, depuis la mort de son mari elle ne mangeait plus, au point d'être dénutrie. De plus, elles s'entendent bien, elles n’ont que deux ans d'écart et il n'y a donc pas de rapport de domination entre elles.
Une motivation commune est la solidarité : elles se rendent compte qu'en prenant de l'âge, il faut s'entraider pour accomplir les tâches de la vie quotidienne, et supporter les épreuves. Cette année, c'est en effet Janine qui a perdu son compagnon et la présence de Gabrielle à ses côtés lui a permis de traverser son deuil plus sereinement.
Tant Janine que Gabrielle apprécient cette colocation. La maison est grande, elles ont chacune leur espace privé, constitué d'une chambre, d'une salle de bain et d'un coin salon avec télé, pour les soirs où elles ne regardent pas la même émission. Gabrielle verse une contribution pour l'entretien qui englobe le loyer, les charges, la télévision, la lessive, la nourriture. Elles se partagent les tâches ménagères selon l'humeur du moment. Il n'y a qu'une seule règle à respecter: Gabrielle doit avertir Janine si elle n'est pas présente au repas de midi. C'est tout.
Leur vie commune n'est pas compliquée, elles sont libres d'agir à leur guise, il n'y a ni frictions ni reproches. Elles se rendent bien compte que leur situation n'est de loin pas la norme, que les gens ont peur de perdre en confort et en liberté en colocation. De leur côté, elles voient au contraire surtout les nombreux avantages de ce mode de vie.
Bibliographie
- Abbeyfield: making time for older people. (2018). Récupéré le 08.10.2018 en ligne
- Baumelle, C. (2012). Manuel de survie des seniors en colocation. Edition Tournez la page.
- Colson, M. (2018). Les projets de colocation entre personnes âgées. Récupéré le 08.10.2018 en ligne
- Curaviva. (2014). Habitat Senior: Proposition de lexique romand unifié. Récupéré le 18.09.2018 en ligne
- Diabolo menthe Fribourg. (2018). La conciergerie sociale. Récupéré le 13.09.2018 en ligne
- Passello, V. (2018, 1 janvier). Quand les aînés vivent en coloc. Le Régional. Récupéré le 18.09.2018 en ligne
- Fattebert Karrab, S. (2014, 27 octobre). Et si on vivant tous ensemble ? Générations. Récupéré le 10.09.2018 en ligne
- Noschis, K. (2018). « Comment habiter avec son âge ? », REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 21 juin 2018.
- Maintien à domicile (2018). La colocation entre seniors : une bonne idée ? Récupéré le 10.09.2018 en ligne
- Le Monde (2012, 26 mars). La colocation entre seniors, pour « se préserver du dépotoir ». Le Monde. Récupéré le 13.09.2018 en ligne
[1] Curaviva, association des homes et institutions sociales suisses.
[2] Par exmple colocationseniors.fr, colocation-adulte.fr ou encore locaseniors.com
Bonjour Diana,
J'ai 55 ans, suis sportif et suis intéressé comme vous par un ensemble de logement communautaire, avec partage de jardin en permaculture, atelier, entretien des communs, etc.
En effet, je suis pour le chacun son chez soi avec une vie communautaire en sortant de mon logement. Ou en êtes-vous dans votre «démarche»!? Je n'ai pas réussi à trouver de site web pour déposer une annonce, en dehors des logements participatifs réservés aux locataires, si ne me trompe pas.
Bien cordialement,
Christophe R, Gryon
Moi aussi je suis intéressée par une colocation qui allierait indépendance et entraide. Peut-être pourrions-nous nous grouper pour essayer de concrétiser un projet?
Madeleine Salamin, Saint-Cergue
Cet article appartient au dossier Habiter ensemble
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Comment citer cet article ?
Cathy Berthouzoz et Leila Raboud, «Pourquoi choisir la colocation entre seniors?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 13 décembre 2018, https://www.reiso.org/document/3811
A 57 ans, sommes-nous des seniors? Oui d'après les médias. Pourtant mon esprit est plus jeune que jamais, avec l'expérience en plus.
Je voudrais savoir si, en Suisse, d'autres seniors envisageraient de partager appartement ou maison, potager, mais en vivant de manière autonome. Chacun son coin et chacun ses habitudes. J'ai l'impression qu'il faut se couler dans un moule pour faire partie d'un groupe. Suis-je prête à accepter cela? Mon dicton: vivre et laisser vivre (dans le plus grand des respect).
A quand un village de personnes qui voudraient vivre ensemble mais indépendamment des uns et des autres. Réalisable? Je me le demande.
Cordialement
Diana Staebler, Ependes