Participation active pour le vieillissement en santé
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Pour développer un itinéraire interprofessionnel favorable de «Vieillissement en santé», un projet genevois découlant sur la création d’un guide a compté sur la participation active de toutes les parties concernées par la politique vieillesse.
Par Catherine Busnel, responsable de l’unité recherche et développement, Catherine Ludwig, professeure, Laura Mastromauro, infirmière spécialiste clinique, Samuel Perivier, médecin, Aude Tholomier, collaboratrice scientifique, Irina Ionita, secrétaire générale, Christophe Graf, professeur médical, chef du Département de Réadaptation et Gériatrie, Eleni M Ashikali, collaboratrice scientifique [1]
Vivre à domicile le plus longtemps possible est une priorité tant individuelle que collective. Toutefois, ce principe se confronte à une augmentation du vieillissement de la population, un accroissement des maladies chroniques et à une grande hétérogénéité des personnes de plus de 65 ans, avec à terme un risque de dépendance fonctionnelle élevé. Pour mieux répondre aux besoins de la population, l’offre de santé devrait prendre en compte les déterminants en santé, tels que les ressources intrinsèques, l’environnement, la politique socio-sanitaire, tout en impliquant les acteurs et actrices que sont les usager·ères (actuel·les ou futur·es), leurs proches, les professionnel·les, les associations et les institutions.
Bien qu’aujourd’hui, les travaux et les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et son programme ICOPE (Integrated Care for Older People) [1] promeuvent une approche du vieillissement en santé par la mobilisation des capacités fonctionnelles, à savoir les capacités intrinsèques et les ressources environnementales individuelles, la question se pose de comment rendre les projets de prévention et de promotion de proximité opérationnels et adaptés aux besoins individuels et spécifiques.
Le projet VIeSA
Dans la perspective d’opérationnaliser les recommandations d’ICOPE, le projet VieSA [2] a pour objectif de développer un itinéraire interprofessionnel de « Vieillissement en santé » intégré et coordonné dans le réseau genevois. Le projet a associé plusieurs expertises : dans les domaines domiciliaire (IMAD), médical et gériatrique (HUG), méthodologique et santé communautaire (HedS), et associative et sociale (Plateforme du réseau seniors Genève). Il a aussi impliqué les personnes concernées, les usager·ères de l’itinéraire proposé.
Le projet a reposé sur trois grandes étapes. La première a consisté à créer un guide informatif et contextualisé dans le canton de Genève à l’usage de seniors et de professionnel·les de la santé et du social, conçu à partir de prestations contribuant à préserver les capacités fonctionnelles, identifiées dans la littérature scientifique. Ensuite, il s’est agi de définir les lignes directrices d’un itinéraire de « vieillissement en santé », permettant de décliner des trajectoires personnalisées, en partant de la définition d’un objectif personnel jusqu’à la mise-en-place d’actions nécessaires pour y répondre. Enfin, l’acceptabilité, la pertinence et la faisabilité des lignes directrices pour répondre aux besoins individuels a été évaluée en sollicitant les seniors et les professionnel·les de la santé et du social ayant le guide comme outil de mise-en-œuvre d’un accompagnement personnalisé.
Pour chaque étape du projet, les personnes concernées par l’utilisation de ce document ont été sollicitées selon une approche participative.
La démarche participative en santé
Dans le domaine de la santé, à l’instar de la définition proposée par l’OMS, une démarche participative est « un processus par lequel les personnes peuvent s’impliquer réellement et activement dans la définition des problèmes qui les concernent, dans la prise de décision des facteurs qui affectent leur vie, dans la formulation et la mise en œuvre de politiques, dans la planification, le développement et la prestation de services, et dans la mise en place de mesures pour réaliser le changement » [4]. Elle vise à intégrer le point de vue des individus [5] et les connaissances expérientielles de chacun·e, et à décloisonner les visions en instaurant une certaine horizontalité dans le rôle des acteurs et actrices impliquées dans une situation ou un projet de santé. L’engagement participatif peut prendre différentes formes (information, consultation, co-construction et co-décision), qui se déclinent d’un degré d’implication faible (information) à un degré élevé (co-décision) [5].
Quelle participation dans le projet VieSA ?
Dans le cadre du projet VIeSA, la démarche s'est orientée vers une participation active des acteurs et actrices potentielles (cf. Figure 1) en les sollicitant et/ou les impliquant dans différentes étapes (cf. figure 2). Plus précisément, la première démarche participative a eu lieu lors de la création d’un prototype du guide (étape 1). Cinq entretiens collectifs à un niveau consultatif [6] ont été réalisés, regroupant 36 participant·es volontaires (seniors, professionnel·les de la santé et du social, représentant·es de communes et du canton). A l’analyse de ces entretiens, des divergences et des convergences de point de vue ont émergé, accompagnées de propositions d’évolution concernant le contenu du document et son accessibilité à un large public. Ces éléments ont été intégrés dans la construction du guide, qui a ensuite été testé sur le terrain durant la mise-en-œuvre de l’accompagnement personnalisé.
La deuxième démarche participative a consisté à recueillir l’avis des seniors et des professionnel·les sur le guide et également sur l’accompagnement individualisé par un professionnel·le de la santé et du social (étape 3). Cet accompagnement de type « coaching », mené sur une durée de trois mois, avait comme objectif de faciliter la mise en place d’actions répondant aux besoins et aux souhaits du ou de la participante. Il reposait sur une succession d’étapes (itinéraire), permettant à chaque individu, seul ou avec un accompagnement de proximité, de réfléchir sur sa perception du vieillissement en santé, de prendre connaissance des recommandations existantes, de définir un objectif en ce sens, et de mettre en place des actions existantes dans le réseau. Chaque entretien entre le·a participant·e et le·a professionnel·le accompagnant constituait une opportunité de mesurer la pertinence, l’utilité, la faisabilité d’un tel dispositif, tout en recueillant les remarques et les suggestions au fil des suivis.
La restitution des résultats du projet, présentés aux participant·es seniors et professionnel·les dans le cadre d'une rencontre, a constitué la troisième démarche participative. A cette occasion, les échanges ont relevé un intérêt des participant·es pour la relecture d’une version améliorée du document, en termes par exemple de compréhension ou d’écriture non discriminante (âgisme). Cette ultime étape offre à l’équipe VIeSA l’opportunité d’adapter le guide en fonction de ces retours et de mettre à disposition un outil co-élaboré dans une perspective du vieillissement en santé.
Quels apports de la démarche participative ?
La participation tout au long du projet a soutenu l’évolution du guide afin de le rendre plus adapté et utile. Des modifications significatives de la structure et du contenu ont été entreprises à la suite des rencontres consultatives, telles que sa division en chapitres ou l’ajout de domaines de santé considérés importants par les participant·es, comme le lieu de vie ou la sexualité. Les commentaires recueillis durant l’accompagnement professionnel ont conduit à des ajustements de format (p.ex. taille de caractères), de langage (en termes de simplification), ainsi qu’à la création d’une version courte de l’ouvrage. Cette version synthétique sera commentée et révisée par les parties prenantes pour garantir que son contenu et sa présentation soient adaptés avant sa parution.
Au fil des différentes étapes du projet VIeSA, l’approche participative a joué un rôle essentiel dans l’atteinte des objectifs de pertinence et d’adéquation pour la mise en œuvre d’un itinéraire de vieillissement en santé intégré dans la communauté. La participation des différentes personnes concernées par le vieillissement en santé, c’est-à-dire les seniors elles et eux-mêmes, les professionnel·les de la santé et du social, ainsi que les représentant·es de communes, a favorisé une meilleure compréhension des réalités individuelles et des besoins parfois divergents. Sans une approche participative, ces éléments n’auraient pas émergé et ils n’auraient pas pu être intégrés dans l’élaboration d’un itinéraire prenant en compte l’ensemble de ces groupes.
Dans un contexte où les programmes de prévention et de promotion de la santé prennent de plus en plus d’importance en raison du vieillissement de la population, et où les avantages des approches centrées sur la personne sont mis en évidence, les démarches participatives constituent un excellent point de départ pour l’intégration de toutes les parties prenantes. Cela amène à des programmes plus inclusifs et efficaces en termes de contenu et d’adhésion. En ce sens, le projet VIeSa fait d’ailleurs figure de modèle : il a été reconnu comme contribuant à la « Décennie du vieillissement en bonne santé » des Nations Unies [2].
Références
1. Organisation mondiale de la santé. Manuel- Conseils sur l'évaluation et les filières axées sur la personne dans les soins de santé primaire. Brazzaville: Bureau régional de l'Afrique; 2019.
2. Perivier S, De Bom N, Ashikali EM, Ionita I, Mastromauro L, Tholomier A, et al. Vieillir en santé à Genève : l’approche novatrice du projet VieSA. Rev Med Suisse. 2023;19(848):2035-2040.
3. Ashikali E-M, Ludwig C, Mastromauro L, Périvier S, Tholomier A, Ionita I, et al. Intrinsic Capacities, Functional Ability, Physiological Systems, and Caregiver Support: A Targeted Synthesis of Effective Interventions and International Recommendations for Older Adults. International Journal of Environmental Research and Public Health. 2023;20(5):4382.
4. Dooris M, Heritage Z. Healthy Cities: Facilitating the Active Participation and Empowerment of Local People. Journal of Urban Health. 2013;90(1):74-91.
5. Ischer P, & Saas, C. La participation en matiere de promotion de la sante. Document de travail 48 Berne et Lausanne: Promotion Santé Suisse; 2019.
6. Slocum N, Elliott, J., Heesterbeek, S., & Lukenmeyer, C.J. Methodes participatives. Un guide pour l'utilisateur. Bruxelles: Fondation Roi Baudouin; 2006.
[1] Catherine Busnel, Laura Mastromauro, Aude Tholomier, et Eleni M Ashikali, Institution genevoise de maintien à domicile (IMAD) ; Catherine Ludwig et Laura Mastromauro, Haute école de santé Genève, HES-SO ; Samuel Perivier et Christophe Graf, Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) ; Irina Ionita, Plateforme du réseau seniors Genève.
[2] United Nations Decade of Healthy Ageing. (2023). Vieillissement en Santé (VIeSA).
Lire également :
- Sofia Fernandes et Omar Portela Dos Santos, «Soutenir les soins avec la gérontotechnologie», REISO, Revue d'information sociale, publié le 22 mai 2023
- Yves Henchoz et Laurence Seematter-Bagnoud, «Regards sur l’état de santé des seniors», REISO, Revue d'information sociale, publié le 9 juin 2022
- Nathalie Bacq et Sophie Progin Batalla, «Des seniors définissent leur vision du bien-vieillir», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 5 mai 2022
- Irina Ionita, «Bien vieillir chez soi: attentes et besoins», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 11 avril 2022
- Caroline Knupfer et Benoît Tabin, «Co-construire une nouvelle politique vieillesse», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 21 mars 2022
- Marion Repetti, «Coupables d’être vieux?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 1er mai 2020
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Catherine Busnel et al., «Participation active pour le vieillissement en santé», REISO, Revue d'information sociale, publié le 4 avril 2024, https://www.reiso.org/document/12246