Collaboration santé-social sur le terrain, enjeux de financement, partage de savoirs : seconde partie[1] de l’interview de l’association professionnelle pour le travail social en lien avec la santé.
© SAGES
(SozialInfo, Martin Heiniger[2]) Dans la pratique, les chevauchements croissants entraînent-ils également un flou entre les domaines de la santé et du travail social ?
(Therese Straubhaar[3], SAGES[4]) Dans le champ des dépendances, nous avons déjà connu cela, au point que tout le monde faisait tout. À la Ligue contre le cancer aussi, les profils se sont mélangés et on ne parlait plus que de conseillères et conseillers. Ces dernières années cependant, les inconvénients ont également été mis en évidence, car les infirmier·ères et les travailleur·euses sociaux·ales ont des cadres de référence différents pour accompagner les personnes atteintes de cancer en ce qui concerne les conséquences physiques et mentales à long terme, de même que pour traiter leurs questions sociales, juridiques ou assécurologiques. Cela a contribué à affiner le profil du travail social et à clarifier la complémentarité mutuelle dans le cadre de la coopération.
Le conseil social intégré dans les cabinets médicaux constitue une approche innovante, avec un lien étroit entre les soins de santé et le travail social. Existe-t-il d’autres exemples dans cet esprit ?
(Therese Straubhaar) Oui, il y en a. Le concept des antennes régionales REAS[5] notamment. Il s’agit d’un projet soutenu depuis 2020 par Promotion Santé Suisse et mis en œuvre dans plusieurs cantons, en Suisse alémanique et en Suisse romande. À l’instar du conseil social dans les cabinets médicaux, REAS vise à envisager les soins sous l’angle de l’intégration. Cela signifie non seulement rapprocher les personnes actrices du secteur de la santé, mais aussi concevoir ensemble la santé et les questions sociales.
Le diagnostic social permet de clarifier les contraintes qui pèsent sur une personne concernée et qui ne sont pas abordées par le médecin.
De nouvelles approches sont actuellement testées, dans lesquelles le travail social se voit attribuer des rôles novateurs. De nouvelles coopérations naissent aussi. REAS traduit en un cadre méthodologique concret le case management socio-thérapeutique (CMST) qui repose sur la théorie de l’« intégration et conduite de sa vie » de Peter Sommerfeld et de ses coauteurs et coautrices[6]. Le diagnostic social permet de clarifier les contraintes qui pèsent sur une personne concernée et qui ne sont pas abordées par le médecin. La situation globale, les ressources et les objectifs sont explorés et mis en évidence afin de définir, à l’aide d’un plan d’aide et de soutien individuel, comment le ou la patiente ainsi que les personnes actrices — souvent innombrables dans des situations complexes — doivent coopérer en vue d’atteindre les objectifs du ou de la patiente.
Cela ouvre de nouvelles perspectives dans les situations chroniques. Nous voyons là un grand potentiel d’innovation lorsque des groupes professionnels tels que les médecins ou les psychiatres s’ouvrent à la collaboration avec le travail social et que de nouveaux réseaux se créent au niveau organisationnel. Un facteur de succès clé est que les médecins et le personnel infirmier reconnaissent qu’il ne s’agit pas d’une concurrence, mais d’une décharge et d’un complément.
(Tom Friedli[7], SAGES) PrePaC (Prevention of Pain Chronification) constitue un autre projet innovant. Il est mené à l’Hôpital de l’Île à Berne et consiste en une collaboration plus étroite entre le travail social clinique et la santé. Né comme un projet interprofessionnel visant à mettre en place un parcours de santé pour les personnes souffrant de douleurs, le travail social y est impliqué très tôt afin d’identifier et de prévenir les facteurs de risque de chronicisation de la douleur.
Si le travail social dans le domaine de la santé ne peut être financé de manière durable et intégré dans un financement pérenne, cela ne sert à rien car alors les projets s’arrêtent une fois parvenus à leur terme.
Également soutenu par Promotion Santé Suisse, le projet est devenu un pôle d’innovation, avec tous les avantages et les inconvénients que cela comporte. La promotion de projets est importante, mais si le travail social dans le domaine de la santé ne peut être financé de manière durable et intégré dans un financement pérenne, cela ne sert à rien car alors les projets s’arrêtent une fois parvenus à leur terme. C’est l’un des principaux problèmes auxquels est confronté le travail social en lien avec la santé.
L’un des objectifs de SAGES est-il de sensibiliser les responsables politiques à cette question ?
(Therese Straubhaar) Oui, l’un des grands objectifs de SAGES est de sortir le travail social en lien avec la santé de la précarité. Promotion Santé Suisse a reconnu que le financement durable constitue en fait un problème clé, raison pour laquelle plus d’importance est aujourd’hui accordée à cet enjeu. REAS, par exemple, après quatre ans de financement pilote, bénéficie actuellement d’un financement transitoire de quatre ans, notamment dans le but de tester des modèles de financement. Documenter et transmettre les expériences dans ce domaine est un élément important de tels projets.
En novembre, SAGES consacre son congrès national aux « Méthodologies au service de pratiques innovantes ». Qu’attendez-vous de cette conférence ?
(Tom Friedli) Je serai satisfait si toutes les personnes qui, je l’espère, participeront à la conférence peuvent en tirer de nouvelles idées. Si nous parvenons à les mettre en réseau et qu’elles se rendent compte qu’elles ne sont pas seules, mais qu’elles peuvent s’associer à d’autres et ainsi mieux se faire entendre.
(Therese Straubhaar) Absolument. Je souhaite également que les personnes qui proposent des ateliers et présentent — par exemple, une nouvelle méthode qu’ils et elles ont développée et testée — puissent partager leur parcours et bénéficier ainsi d’une visibilité et d’une reconnaissance accrues.
(Propos recueillis par Martin Heiniger, SozialInfo)
Le 12 novembre à Olten, SAGES organise un congrès national bilingue consacré au thème « Travail social en lien avec la santé : des méthodologies au service de pratiques innovantes ». Les inscriptions ouvertes jusqu’au 4 novembre. Les abonné·es à REISO bénéficient du tarif spécial « membres des partenaires de coopération ».
[1] La première partie de cette interview a été publiée en français, sur REISO, le 24 octobre 2025 sous le titre « Le social constitue un élément important de la santé »
[2] Cette interview a initialement été publiée le 16 octobre 2025, en allemand, sous le titre « Gesundheitsbezogene Soziale Arbeit gewinnt an Bedeutung » par SozialInfo avec qui REISO initie un partenariat rédactionnel. Traduction française : Deepl Pro. Révision de la traduction et édition : N. Berger.
[3] Assistante sociale à la Ligue suisse contre le cancer ; chargée de cours externe à la FHNW ; coprésidente bénévole de SAGES
[4] Association suisse pour le travail social dans le domaine de la santé
[5] REAS Suisse, Antennes régionales
[6] Integration und Lebensführung, FHNW, en allemand
[7] Professeur en travail social clinique à la Haute école spécialisée du nord-ouest de la Suisse FHNW ; cofondateur et coprésident bénévole de SAGES