Se réinsérer en apportant du soutien aux seniors
À Bienne, le projet Wili a allié réintégration sociale et aide aux personnes âgées. Un pari enrichissant pour chacun·e, mais qui nécessite toutefois de prêter une attention particulière aux fragilités des deux populations.
Par Estelle Fetida, collaboratrice scientifique, Serdaly&Ankers snc, Conches
Un programme d’intégration où des personnes au bénéfice de l’aide sociale accompagnent des seniors pour leurs achats, leur assurent la livraison en vélos électriques, puis effectuent des petites tâches à leur domicile, telles que rangement des commissions, arrosage des plantes ou sortie des poubelles : tel est le but du projet Wili, développé depuis 2017 à Bienne.
Principal financeur, la Fondation Âge a mandaté un bureau d’accompagnement de l’entreprise sociale et de l’action publique pour l’évaluer. [1] Son rapport [2] livre une analyse documentée sur la possible conjugaison entre les besoins des hommes et des femmes en réinsertion professionnelle, d’une part, et ceux des seniors, d’autre part. Identifiant les potentialités et les limites de cette rencontre, ce document se veut également ressource d’apprentissage pour les autres acteurs et actrices qui, ailleurs, voudraient développer des projets similaires.
À l’origine du projet, Action Paysage Bienne [*], une entreprise sociale de la région du Seeland, proposait plusieurs programmes d’intégration accueillant des adultes sans emploi. Elle travaillait en partenariat étroit avec des organismes placeurs, dont le Service spécialisé de l’insertion professionnelle de la ville de Bienne.
Parmi ces activités, l’entreprise proposait, en amont de Wili déjà, un service de livraison de courses à domicile. Alors chef de ce projet, Kevin Meyer relatait : « Avec le temps et au fil des discussions entre livreur·euse·s et client·e·s, essentiellement des seniors, de nouveaux besoins ont été identifiés. La clientèle a non seulement besoin d’être accompagnée dans les magasins pour faire ses achats, mais elle a surtout envie d’avoir de la compagnie et de bénéficier de moments d’échanges. Dès lors, l’entreprise s’est tournée vers Pro Senectute afin d’évaluer si cela était faisable. De ces réflexions est né Wili ».
Une réponse à des enjeux pluriels et actuels
Dès ses débuts, le projet a voulu répondre à trois enjeux importants : l’écologie, la réinsertion professionnelle et l’aide aux personnes âgées. La transition écologique a été réalisée en optant pour l’usage de vélos électriques pour les livraisons des commissions. La réinsertion professionnelle des bénéficiaires de l’aide sociale s’est concrétisée dans le soutien apporté aux seniors. Ces échanges se sont par ailleurs révélés un excellent moyen d’acquérir une expérience dans le secteur porteur de l’aide à la personne. Enfin, le projet a contribué au maintien à domicile de celles et ceux qui ont souhaité vieillir chez eux, et à lutter contre l’isolement.
Neil Ankers, co-auteur du rapport, le confirme : « Lutter contre l’isolement est devenu une condition cardinale pour permettre le maintien à domicile des personnes âgées qui le souhaitent et sera sans doute l’un des principaux axes de développement des politiques de vieillissement de ces prochaines années ».
Des effets bénéfiques pour les deux publics
Bien que le volume des prestations fournies dans le cadre de Wili ait été affecté par la crise sanitaire, le rapport d’évaluation démontre que les bénéfices qualitatifs pour chacun des publics sont bien réels.
Les hommes et les femmes en insertion acquièrent de l’expérience dans le domaine de l’aide à la personne, mais améliorent également leur confiance en eux et elles. Leurs témoignages mentionnent notamment l’importance de « pouvoir être utile » et de « se sentir exister ». Néanmoins, certaines situations individuelles, comme des histoires de vie partagées par des client·e·s âgé·e·s, peuvent parfois être lourdes à porter. Dans de tels cas, des espaces pour débriefer de ces situations sont prévus.
Pour les seniors, ce service a constitué une réelle aide pour l’accomplissement de tâches quotidiennes. Cela a aussi été l’occasion de profiter d’un échange privilégié avec une personne qui n’est là « rien que pour eux », à l’écoute de leurs besoins.
Des solutions aux obstacles identifiés
Réussir le démarrage de ce projet n’a pas été aisé. L’élaboration du rapport a ainsi été l’occasion de documenter les défis rencontrés, comme les solutions trouvées par celles et ceux qui l’ont porté. Les premiers obstacles ont d’abord porté sur le plan stratégique : en s’attaquant à des enjeux aussi divers, Wili requérait un large panel de compétences, qu’un·e seul·e acteur ou actrice ne saurait pouvoir mobiliser.
Ainsi, si les enjeux environnementaux et l’insertion professionnelle étaient deux secteurs déjà largement investis par Action Paysage, il est apparu indispensable de faire appel aux compétences de Pro Senectute en matière de vieillissement. L’établissement d'un partenariat avec l’Association transports et environnement a renforcé l’assise de Wili en matière de mobilité douce.
Cette dynamique de collaboration, d’abord mise en place dans une volonté de complémentarité des savoirs, s’est ensuite révélée un atout pour le projet. Elle a renforcé son ancrage durable dans le paysage et élargi son potentiel de clientèle.
La stratégie de communication s’est également montrée cruciale. D’une part, parce que les offres dédiées aux seniors sont souvent perçues comme stigmatisantes, mais également car la population la plus isolée demeure, de facto, difficile à atteindre.
Sur le plan opérationnel enfin, l’enjeu principal résidait dans la rencontre entre les deux publics visés. Accepter de ne pas pouvoir faire certaines tâches seul·e et demander de l’aide peut s’avérer difficile pour la personne âgée. Des réticences, voire des craintes— « Qui va m’accompagner ? », « Cette personne répondra-t-elle à mes besoins ? » – étaient souvent palpables lors de la première prise de contact.
Dans la majorité des situations, un lien de confiance s’est peu à peu tissé pour s’installer dans la durée. Outre les potentielles difficultés, pour chacun·e, d’incarner le rôle de l’aidé·e ou de l’aidant·e, le caractère fragile de ces deux publics est ressorti comme un défi en soi. C’est pourquoi, dans certaines situations, il a fallu renoncer à la rencontre. Un·e client·e aux troubles cognitifs importants, par exemple, s’avère trop difficile à accompagner pour l’aidant·e.
Des perspectives d’avenir
Forts de cette expérience, les équipes d'Action Paysage ont voulu créer davantage de synergies et de complémentarités entre leurs propres offres, notamment en proposant un abonnement pour la récupération des déchets recyclables. Si le dispositif a finalement été suspendu pour des raisons financières, il n'en a pas moins représenté une nouvelle opportunité de soulager des personnes âgées, notamment celles à mobilité réduite.
[*] Ndlr : Entre la rédaction et la publication du présent article, Action Paysage Bienne a dû déposer son bilan et cesser son activité. Cela n’affectant pas l’intérêt intrinsèque du projet Wili et des apprentissages retirés, nous avons choisi d’en maintenir la publication.
[1] Il s’agit du bureau Serdaly&Ankers snc
[2] Ankers, N. et Julien, S. (2021). « Wili » : des adultes en réinsertion au service des seniors. Serdaly&Ankers, Conches, 2021, 42 pages.
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Comment citer cet article ?
Estelle Fetida, «Se réinsérer en apportant du soutien aux seniors», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 10 février 2022, https://www.reiso.org/document/8556