Le Quart Monde réconcilie art et travail social
Un théâtre social, poétique et populaire conçu comme un pont entre la création artistique et le travail social : c’est la démarche exigeante de l’Association des Familles du Quart Monde.
Par Sandra Muri, membre de Métis’arte, et Maika Bruni, coordinatrice à l’AFQM
Tout commence par des histoires d’exclusion… Des histoires personnelles et familiales qui amènent les personnes qui en sont victimes à trouver des solutions au quotidien et à élaborer des stratégies de survie par la voie de la créativité. Alors que la pauvreté pousse ces personnes à quitter l’espace public et à devenir invisibles aux yeux de la société, l’art leur permet de reprendre cette place, de « prendre » la rue.
Pour mener cette démarche, l’Association des Familles du Quart Monde de l’Ouest lausannois [1] a collaboré avec l’Association Métis’Arte [2] . Des scénarios ont été créés à partir des expériences de vie des familles et seront joués dans la rue par une équipe constituée de membres des deux Associations.
Cette action s’inspire des expériences et des ouvrages d’Augusto Boal, écrivain et dramaturge brésilien, concepteur du Théâtre de l’Opprimé, un théâtre de rue, populaire et contestataire, où le personnage principal est le « spect-acteur ». Arrêté, torturé et contraint à l’exil, Augusto Boal a transformé son histoire personnelle d’exclusion en une opportunité pour développer une méthode de théâtre social. Dans son approche, le théâtre est placé au centre de la vie humaine parce qu’il permet à chacun et chacune d’en faire usage pour « transformer » les situations qui génèrent de l’exclusion et des inégalités. Pour Boal, tout être humain est théâtre.
« Tous les êtres humains utilisent, dans leurs vies quotidiennes, le même langage que les acteurs utilisent sur scène : leur voix, leur corps, leurs mouvements et leurs expressions ; ils traduisent leurs émotions et désirs dans le Langage Théâtral. Le Théâtre de l’Opprimé offre à tous les moyens esthétiques d’analyser leur passé dans le présent et, en conséquence, d’inventer leur futur, sans l’attendre. Le Théâtre de l’Opprimé aide les êtres humains à retrouver un langage qu’ils possèdent déjà. Nous apprenons à vivre en société en jouant au théâtre. Nous apprenons à sentir en sentant ; à penser en pensant ; à agir en agissant. Le Théâtre de l’Opprimé est une répétition pour la réalité. »
Déclaration de principes de l’Organisation internationale de Théâtre de l’Opprimé (OITO, site internet)
Dépassé donc, le théâtre conçu avec des acteurs pour une élite ! Place au théâtre où nous sommes tous des protagonistes, tous des acteurs ! Au sein de l’Association des Familles du Quart Monde (AFQM), comme chez Augusto Boal, les parcours de vie sont parsemés d’« histoires d’exclusion ». Les personnes qui se rencontrent à l’AFQM, comme les « spect-acteurs » d’Augusto Boal, sont là pour transformer le fardeau d’une exclusion en un arc-en-ciel de partages. Les situations étant parfaitement similaires, le théâtre social, celui qui prend place dans la rue, s’est très naturellement imposé aux « protagonistes du Quart Monde ».
A travers le moyen accessible à toutes et tous qu’est une performance de rue, le but consiste donc à faire passer un message à un large public et à sensibiliser les passants à ces histoires humaines. Des histoires qui donnent des leçons de vitalité ! Des histoires qui transforment un stigmate en source de résistance et de dignité !
Du côté des protagonistes du Quart Monde, c’est une occasion de se positionner face à une problématique qui les touche en choisissant une démarche citoyenne surprenante : habiter l’espace public et provoquer une réaction des badauds par l’effet de surprise.
Le courage de montrer et de se montrer
Dans cette démarche, outre le courage de prendre place dans l’espace public, le plus intéressant est le travail fait en amont avec les familles pour élaborer les performances qui seront présentées à Lausanne du 17 au 29 octobre 2011. Pendant plusieurs mois, les usagères et les usagers de l’AFQM, accompagnés par des comédiens de l’association Métis’Arte, se sont essayés aux différents exercices de la méthode du Théâtre de l’Opprimé et de la performance. Plus qu’un apprentissage des compétences du comédien de rue, le travail de préparation a consisté en un parcours introspectif et en une analyse de la réalité par l’exercice et le déploiement des sens. Tout un cheminement qui tend à rétablir et à affirmer la confiance en soi.
Dans notre démarche, le théâtre social a permis de se rencontrer, de se confronter à la réalité de sa vie quotidienne et d’acquérir la capacité de transformer ses sombres recoins. Il a également permis de se préparer à prendre place dans l’espace public, de manière citoyenne et esthétique.
Photo : Marinette. © Pierre-Antoine Grisoni. Tiré du livre « La richesse invisible du Quart Monde ».
[1] L’Association des Familles du Quart Monde de l’ouest lausannois (AFQM) s’expose et expose au forum de l’Hôtel de Ville de Lausanne du 17 au 29 octobre 2011.
[2] L’Association Métis’Arte crée un pont entre l’art et le social pour promouvoir et défendre les droits élémentaires de l’être humain.
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Sandra Muri et Maika Bruni, «Le Quart Monde réconcilie art et travail social», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 17 octobre 2011, https://www.reiso.org/document/46