Autisme: de nouveaux outils pour les enfants?
Des outils numériques pour faciliter l’accompagnement des enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme : possible ou utopique ? C’est la question posée par une recherche internationale à laquelle la Suisse participe.
Par Aline Tessari Veyre, chargée de recherche, Haute école de travail social et de la santé · EESP · Lausanne & Université de Fribourg ; Evelyne Thommen, professeure, EESP ; Laetitia Baggioni, chargée de recherche, EESP, HES-SO
Ces dernières années, l’utilisation des technologies numériques dans l’accompagnement des enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme (TSA) a fortement augmenté. Différents types de matériel sont utilisés : par exemple les technologies mobiles, les robots ou encore la réalité virtuelle. Ils visent à soutenir la réalisation d’activités de la vie quotidienne, faciliter la mobilisation de compétences telles que le langage et les habiletés sociales ou encore favoriser les apprentissages.
L’engouement pour l’utilisation de ces technologies s’explique en partie par le fait qu’elles correspondent particulièrement bien aux spécificités des personnes avec un TSA. Ce trouble du développement se caractérise par des symptômes qui apparaissent durant les premières années du développement de l’enfant (APA, 2013 [1]). Il se manifeste par des difficultés dans le domaine de la communication verbale et non verbale, observables aussi bien au niveau de l’expression que de la compréhension. Des déficits dans les interactions sociales sont également observés. Bien que désireux d’entrer en contact avec autrui, les interactions sont perturbées quantitativement et qualitativement notamment par des difficultés dans la compréhension des émotions et des règles sociales. De plus, des particularités comportementales telles que des stéréotypies motrices, des intérêts et/ou activités restreints à certains thèmes, des difficultés à faire face aux changements et des spécificités dans le traitement de l’information sensorielle sont parfois également constatées.
Des univers prévisibles et neutres
Les conséquences du trouble dans la vie quotidienne sont multiples et varient d’un individu à l’autre, elles entraînent des situations de handicap très variables. Certains enfants ne développeront pas le langage oral, tandis que d’autres le feront avec toutefois quelques particularités (intonation singulière, vocabulaire peu adapté, difficultés à comprendre le langage abstrait tels que les métaphores ou le second degré).
Les outils numériques se caractérisent par des univers programmés, prévisibles et neutres et les utiliser ne requiert pas de compétences interactionnelles particulières. De ce fait, ils sont spécialement appréciés des enfants avec un TSA. Certaines recherches concluent également que les supports numériques améliorent l’intérêt et la motivation des enfants avec un TSA, plus encore que chez les enfants au développement typique (Grossard & Grynszpan, 2015) [2]. En ce qui concerne l’utilisation de ces outils dans la prise en charge des enfants avec un TSA, les recherches montrent que l’utilisation par les professionnels de terrain reste peu documentée. Ces derniers rapportent, par ailleurs, ne pas savoir comment intégrer efficacement ces outils dans le mode de vie de l’enfant. Ils relèvent également que le transfert et la généralisation des apprentissages dans des contextes réels ne sont pas automatiques. Ces mêmes recherches montrent que l’efficacité des outils est encore largement discutée (Ramdoss et al., 2012) [3].
Partant de ces constats, un projet de recherche a été développé afin d’explorer ces questions. D’envergure internationale, « Autisme et nouvelles technologies » a impliqué la participation de cinq pays : la Belgique, la France, le Luxembourg, le Royaume-Uni et la Suisse. Il est financé par la Fondation internationale de la recherche appliquée sur le handicap (FIRAH).
Les pratiques des enfants, parents et professionnels
Dans un premier temps, les travaux menés ont permis d’élaborer une revue de littérature [4] qui présente seize recherches offrant des pistes concrètes pour la résolution de problèmes pratiques et potentiellement en lien avec les besoins et les préoccupations des enfants et de leur entourage. Dans un deuxième temps, les pratiques des enfants, parents et professionnels en lien avec l’usage des outils numériques ont été décrites. Un questionnaire en ligne a été proposés, les participants ont été invités à décrire les outils numériques qu’ils utilisent (5 au maximum) ; ceux qu’ils utilisent pour développer les compétences dans certains domaines spécifiques comme la communication, l’apprentissage du vocabulaire ou encore la vie quotidienne. Ils ont également répondu aux questions sur l’appropriation des outils numériques et les difficultés d’utilisation et commenté l’utilisation des nouvelles technologies dans la communication non verbale et les interactions sociales.
Les responsables de recherche de chaque pays ont été chargés de diffuser le questionnaire auprès des publics concernés. L’étude [5] a permis à 238 personnes de remplir le questionnaire : 67 enfants, dont 11 suisses, 92 parents, dont 12 suisses et 79 professionnels, dont 6 suisses. Les résultats présentés ci-après se réfèrent aux participants de tous les pays.
En ce qui concerne les outils utilisés, les parents et professionnels indiquent employer majoritairement des tablettes et des ordinateurs. Dix professionnels et onze parents n’utilisent aucun outil numérique. Les professionnels précisent qu’ils souhaiteraient néanmoins le faire. Les enfants se servent quant à eux majoritairement de l’ordinateur et de la tablette. La console et le téléphone portable sont également mentionnés par environ un tiers d’entre eux.
Précisions que seule la tablette est citée par les trois groupes de participants. La moitié des enfants expliquent s’en servir tous les jours, tandis que les parents et les professionnels l’utilisent plusieurs fois par semaine. Les enfants indiquent l’utiliser principalement pour se divertir, jouer à des jeux, visionner des vidéos ou écouter de la musique. Les parents et les professionnels mentionnent l’utiliser dans un but pédagogique, comme soutien aux apprentissages. Le fait qu’elle soit petite, tactile, légère est apprécié par une majorité de participants. Les professionnels et les parents indiquent également que cet outil constitue un bon moyen de faciliter la communication, avec un recours aisé à des photos ou des pictogrammes.
Les pannes et les blocages techniques
L’analyse des questionnaires a mis en évidence un autre aspect important : de nombreux participants rencontrent des problèmes dans l’utilisation des outils numériques. Les enfants mentionnent des pannes et des blocages, des problèmes de connexion ou encore de lenteur. Cinq d’entre eux précisent qu’ils sont rapidement énervés par ces problèmes. Pour régler ces situations, la majorité d’entre eux fait appel à un proche ou essaie de trouver des solutions, par exemple éteindre l’appareil ou le redémarrer.
Les parents et les professionnels rapportent en majorité des problèmes en lien avec les effets des outils numériques sur l’enfant : isolement, sur-stimulation, développement de stéréotypies ou encore agressivité. Un parent explique : « L’enfant peut se satisfaire d’utiliser la tablette pour regarder des vidéos à longueur de journée. » Un autre indique : « Il est très difficile de le faire arrêter. Il est très difficile d’utiliser l’outil comme outil éducatif. » L’apprentissage de l’utilisation des outils par l’enfant a également été soulevé. Un parent indique que « l’enfant ne lisait pas les instructions indiquées sur la tablette, il touchait donc tous les boutons, au bout d’un certain temps, l’outil s’éteignait. » D’autres problèmes sont mentionnés, à des occurrences plus faibles, par exemple des pannes, des difficultés de paramétrage ou encore des inconvénients liés à l’obsolescence et aux mises à jour du matériel. Quelques parents et professionnels ont également soulevé la problématique de leur propre gestion de l’outil, par exemple une personne explique qu’elle à dû apprendre à le faire fonctionner. Les professionnels relèvent plus spécifiquement que, dans certains cas, le recours à un spécialiste est nécessaire pour configurer le matériel. Néanmoins, peu de moyens financiers sont disponibles pour le faire.
Les parents et professionnels ont rapporté de nombreuses solutions pour pallier aux difficultés rencontrées. Celles-ci peuvent être classées en deux grandes catégories.
- La première renvoie aux solutions envisagées pour réguler l’utilisation des outils par l’enfant. Un parent explique avoir mis en place un système de bons de « 30 minutes d’Ipad », l’utilisation du Time-Timer est recommandée par un autre parent. Une professionnelle explique qu’elle a deux tablettes en classe, une à coque jaune pour les activités éducatives et une seconde à coque verte pour les activités de loisir.
- La deuxième catégorie se réfère aux astuces liées au matériel. Un parent explique : « Nous avons trouvé un paramètre d’accès guidé sur la tablette qui permet à l’enfant de ne pas pouvoir changer d’application pendant un temps donné ». D’autres solutions sont proposées comme l’utilisation de coque de protection, l’activation de l’accès restreint ou encore la désactivation du bouton d’accueil. A noter que les astuces ont été répertoriées dans un fascicule disponible en ligne [6].
Des forces et des faiblesses à évaluer
En conclusion, cette étude exploratoire montre que le soutien de proches est important pour l’enfant lorsqu’il emploie des outils numériques, notamment lorsqu’il s’agit de régler un problème. Ainsi, il est recommandé aux parents et aux professionnels d’être conscients des forces et faiblesses de ces outils, de bien les connaître et d’être entraînés à les employer. Il leur est également recommandé d’utiliser des applications développées pour le public-cible. En d’autres termes, l’utilisation des outils numériques avec les enfants présentant un TSA doit être planifiée dans un projet pédagogique qui précise notamment les objectifs, les applications utilisées ou encore la quantité d’exposition. L’outil ne fait rien tout seul, l’investissement des parents et des professionnels est essentiel.
Lire aussi l'article sur les expériences menées en Suisse: Fabienne Clément et Areti Buhler, «Autisme: les apports de la téléthèse et des app’», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 4 avril 2019.
[1] American Psychiatric Association. (2015). Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5). Paris : Elsevier-Masson.
[2] Grossard, C. & Grynszpan, O. (2015). Entraînement des compétences assistées par les technologies numériques dans l’autisme : une revue. Enfance, 1, 67-85.
[3] Ramdoss, S., Machalicek, W., Rispoli, M., Mulloy, A., Lang, R., & O’Reilly, M. (2012). Computer-based interventions to improve social and emotional skills in individuals with autism spectrum disorders: a systematic review. Developmental Neurorehabilitation, 15(2), 119–135.
[4] FIRAH, 2017. Autisme et nouvelles technologies : Revue de littérature sur les questions de l’usage des outils numériques dans l’aide à la communication non verbale et à l’interaction sociale chez les personnes avec des troubles du spectre de l’autisme (TSA). Récupéré en ligne.
[5] Tessari Veyre, A. & Thommen, E. (2018). Témoignages des parents, professionnels et enfants autistes sur les usages numériques. Rapport suisse. FIRAH, Haute école de travail social et de la santé - EESP, INSHEA. Récupéré en ligne
Le projet suisse a collaboré avec quatre établissements : Autismes et potentiels (Genève), La Bruyère (Valais), Les Buissonnets (Fribourg) et la Fondation de Vernand (Vaud). Lire prochainement l’article sur les expériences menées à Fribourg et dans le canton de Vaud. Par ailleurs, des étudiants de la Haute école de travail social et de la santé (EESP/HES-SO) sont en train de réaliser des synthèses écrites et audiovisuelles afin de mieux visibiliser le travail effectué par les professionnels.
[6] FIRAH, 2018. Trucs et astuces issus des témoignages des parents, professionnels, enfants sur les usages numériques. Récupéré en ligne
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Aline Tessari Veyre, Evelyne Thommen et Laetitia Baggioni, «Autisme: de nouveaux outils pour les enfants?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 4 avril 2019, https://www.reiso.org/document/4279