Des vidéos pour raconter les «Gens de Galiffe»
Un film en capsules sur un portail internet ? Réalisé par une senior de plus de 70 ans dont c'est le premier geste cinématographique ? Sur un lieu que peu de Genevois connaissent ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
Ndlr A Genève, les exclus solitaires ou désorientés se retrouvent à l’Atelier Galiffe du CSP, un lieu de pauvreté joyeuse et de créativité, de liberté et de poésie. Camille Bierens de Haan leur a donné la parole. Le portail «Gens de Galiffe», en ligne, présente actuellement une quarantaine de vidéos de quelques minutes pour entrer dans ce lieu d’accueil des «fragilités psychiques et des solitudes urbaines». Récit du making of de ce film en capsules.
Par Camille Bierens de Haan, bénévole, Genève
Après avoir crashé mon navire dix ans avant la retraite dans un accident professionnel communément appelé « licenciement », j'avais dégringolé l'échelle sociale péniblement gravie de diplôme en master pour finir ma course dans des petits boulots et des remplacements. Donc la désillusion, l'exclusion et l'effritement de la confiance en soi, je connais. Croyant sauver les meubles, j'avais alors entrepris une formation d'art-thérapeute en dernière heure, pensant pouvoir faire tourner un atelier en indépendante. Mais j'ai aussi loupé cette dernière marche. Après avoir perdu de l'argent pendant deux ans sans réel bonheur en contrepartie, j'ai fermé boutique. Et là, ça a vraiment été quelques semaines de Bérésina.
Donc quand au hasard d'une conversation je suis tombée sur l'Atelier Galiffe, et que dès la première visite j'ai senti la qualité de l'accueil et l'ambiance qui régnait dans cette baraque, tous les voyants se sont allumés d'un coup : c'était un lieu de liberté et de bienveillance comme je les avais longtemps rêvées; un havre de pauvreté joyeuse et de créativité comme j'espérais encore le trouver. Une caverne d'Ali-Baba au milieu d'un jardin fouillis, en marge d'un petit square sous des grands arbres, en pleine ville, à l'écart des grands axes de circulation, comme dans les chansons. Un lieu à la marge pour exclus solitaires ou désorientés, ouvert à tous, poétique et vétuste. J'avais trouvé un chez moi. Et cerise… ils acceptaient les bénévoles !
Sans conditions préalables
J'ai plongé avec bonheur dans ce milieu qui m'acceptait sans jugement ni conditions préalables et j'ai déployé ce que je savais faire auprès de celles et ceux qui avaient envie de découvrir du nouveau, sans contrat thérapeutique, sans dossier ni déclaration à l'assurance. En guise de viatique, l'équipe d'accueil m'avait dit : « Trouve ta place. Non, nous n'avons pas de cahier des charges à te donner ni de liste de tâches à accomplir. Tous les matériaux sont à ta disposition. » Ils·elles m'avaient simplement à l'œil, veillaient au grain en cas de dérapage, discrètement comme pour tout ce qui se passe dans cet Atelier, quotidiennement.
Au bout d'un an, quand j'ai appris que les grands travaux à venir pour transformer la gare Cornavin en gare souterraine allaient bouleverser le square et sans doute saccager le jardin, j'ai assez vite renoncé à descendre dans la rue avec une pancarte: il est déraisonnable de vouloir résister à la modernité qui avance, d'autant quand elle est soutenue par l'expression de la volonté populaire... J'ai donc opté pour une posture d'acceptation, de préservation de la mémoire et de célébration. Par ailleurs, moi, j'aime raconter des histoires. Dans une des nombreuses vies qu'il m'a été donné de vivre dans cette incarnation, j'ai en effet été conteuse professionnelle et j'ai gardé de cette étape du voyage un goût immodéré pour la narration et la description. Mais comment raconter Galiffe ? Qui allait lire ce récit ? Est-ce que les mots suffiraient jamais à transcrire ce qui fait le charme de cet endroit ?
Est venu le printemps 2016 et Visions du Réel, ce magnifique festival du cinéma documentaire à Nyon. Une des lauréates, amie, m'a raconté avoir commencé à filmer sans avoir jamais tenu une caméra au préalable. Du coup, je me suis dit : pourquoi pas moi ?! C'est comme ça que tout a commencé.
Les erreurs des débutants
De toute façon, j'avoue ne pas avoir beaucoup réfléchi. J'ai attrapé mon smartphone et j'ai commencé à photographier. Et de clic en clac, de cric en crac, c'est devenu un projet de film. Une mini formation MOOC en ligne « Filmer avec son smartphone » m'a lancée dans l'action et j'ai commencé à tourner.
Bien entendu, j'ai fait toutes les erreurs que font les débutants : croire qu'un supplément d'équipement va résoudre les problèmes, tourner trop, bouger trop vite, couper trop court... Mais j'ai aussi sollicité des entretiens avec plusieurs cinéastes professionnels, contacté des associations de vidéastes et participé à des ateliers et master-classes, visionné pas mal de documentaires, ce qui m'a dégourdi la pensée et aiguisé le regard.
Je savais que le milieu que je m'apprêtais à filmer ne supporterait pas l'intrusion d'une équipe professionnelle extérieure à l'Atelier et que j'étais donc seule à pouvoir capter la beauté et l'authenticité de ce que je voulais raconter. Je devais par conséquent trouver à m'adjoindre quelques professionnel-le-s pour bonifier mes récoltes en post-production et donc avoir de l'argent pour les payer. Une opération de financement participatif – crowdfunding – dans le courant de l'été 2018 a rapporté les 20’000 francs nécessaires à la collaboration avec un coach et l'engagement d'une monteuse. Et aujourd'hui, grâce à ces deux-là, j'ai d'une part compris que le monde du cinéma et ses circuits de diffusion étaient sans doute hors de ma portée mais que j'avais une chance dans celui de la santé et du social et surtout avec le support de diffusion formidable qu'est l'internet.
La trame narrative du changement
Aujourd'hui, j'ai pu mettre en ligne environ deux heures et demie d'image, dans un portail dédié à la vidéo, qui permet de labelliser les capsules en catégories avec des mots-clés. Je peux aussi ajouter à mes propres productions des annotations qui renvoient à des publications similaires sur le net, de manière à enrichir la thématique.
Je vais continuer à tourner probablement encore jusqu'au déménagement de l'Atelier Galiffe vers son nouveau lieu (en 2024?) de façon à accumuler le matériau nécessaire à la constitution d'une véritable trame narrative qui racontera la transformation et la transplantation de ce lieu, de ses usagers et de ses méthodes d'accueil au fil des événements.
Entretemps, je vais faire des progrès dans le maniement de la caméra et surtout me former à l'écriture d'un scénario de documentaire. Pas idée comment on fait ça, pour l'instant. Vous savez, vous ? Et puis, me déplacer pour présenter mes capsules partout où l'on voudra bien m'accueillir pour animer le débat : associations, écoles, institutions. Si vous en connaissiez qui pourraient s'y intéresser, soyez gentil·le : faites-moi signe !
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Comment citer cet article ?
Camille Bierens de Haan, «Des vidéos pour raconter les «Gens de Galiffe»», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 28 mars 2019, https://www.reiso.org/document/4255