Après le cancer, l’enjeu du retour au travail
Le cancer marque souvent un coup d’arrêt dans une carrière professionnelle. La réinsertion des personnes en rémission, toujours plus nombreuses, constitue une priorité. Parce que maladie ne doit pas rimer avec précarité.
Par Chantal Diserens, directrice, et Béatrice Tille, responsable communication, Ligue vaudoise contre le cancer, Lausanne
La lutte contre le cancer connaît de remarquables avancées. Sous l’effet combiné du renforcement du dépistage et des progrès thérapeutiques, la mortalité liée à la maladie est en baisse. Elle a diminué de près d’un tiers depuis les années 80 [1] et, aujourd’hui, sept patients sur dix guérissent. Près de 320'000 personnes vivent ainsi avec un diagnostic de cancer en Suisse, chiffre qui pourrait atteindre le demi-million en 2030 [2]. Une fois la maladie maîtrisée, la vie des personnes en rémission reste néanmoins empreinte de hauts et de bas, ce qui se conçoit aisément.
Deux tiers environ de ceux que l’on appelle les « survivants » reprennent le chemin du travail plus ou moins rapidement [3]. Sur le papier, les mesures destinées à faciliter leur retour en emploi font l’unanimité. En pratique, le tableau est moins rose. Le cancer constitue la troisième cause d’absence de longue durée au travail [4]. Il reste une maladie à l’évolution instable et sa gestion en entreprise comporte de nombreux impondérables. Il laisse souvent des séquelles qui ne sont pas sans incidence sur la capacité de travail, état de fait que les employeurs devraient avoir à l’esprit à l’heure de la reprise. Ceci est d’autant plus vrai que la performance à court terme reste une valeur cardinale au sein de notre société, priorité difficilement compatible avec la fragilité engendrée par la maladie.
Des séquelles physiques et psycho-sociales
Moins invasives au fil du temps, les thérapies restent néanmoins éprouvantes, avec des effets secondaires susceptibles de se manifester à court, moyen et long termes. La fatigue, très courante, ainsi que les troubles de la mémoire ou les difficultés de concentration présentent un caractère limitatif évident. De nombreuses chimiothérapies sont toxiques pour le système nerveux périphérique et rendent difficiles les gestes qui font appel à la motricité fine, comme la manutention de petits objets, des saisies sur le clavier, etc. Suite à certaines opérations mammaires, le bras situé sur le côté où l’intervention a été pratiquée perd en mobilité. Les exemples pourraient être multipliés à l’envi pour évoquer les séquelles physiques de la maladie.
Le cancer, c’est aussi une profonde remise en question face à l’expérience de sa propre fragilité. Il y a un avant et un après. La maladie soulève des interrogations existentielles, menant la plupart du temps à une redéfinition des priorités. En présence de chirurgies mutilantes, les patients passent par un travail de deuil d’une partie d’eux-mêmes. Rien de plus normal donc pour certaines personnes en rémission que de souffrir de détresse psychologique, désarroi souvent renforcé par la peur de la récidive. Cette composante psychologique ne saurait être écartée lors du retour en entreprise pendant ou après les traitements.
Un risque accru de chômage
La reprise, les personnes concernées l’appellent souvent de leurs vœux. Travailler permet de renouer avec une forme de normalité, préserver une vie sociale et, bien sûr, maintenir un revenu salarial ‒ car la maladie est souvent source de paupérisation. Les patients qui ont survécu au cancer présentent un risque de chômage supérieur de 37% à celui de la population en bonne santé [5]. Une double peine en quelque sorte.
De manière générale, la Ligue vaudoise contre le cancer (LVC) constate dans sa pratique que les travailleurs connaissent mal le droit du travail. Beaucoup d’entre eux pensent que la maladie les prémunit d’un licenciement, ce qui n’est pas le cas. La loi prévoit en revanche un délai de protection durant lequel l’employeur ne peut pas résilier le contrat. Dans le secteur privé par exemple, il est en principe de 30 jours au cours de la première année de service, de 90 jours de la deuxième à la cinquième année de service et de 180 jours à partir de la sixième année de service [6].
Autre sujet complexe, celui du droit au salaire. Tout dépend des dispositions prises par les employeurs. Dans le secteur privé, la loi n’oblige pas les entreprises à s’assurer contre le risque maladie, mais la majorité d’entre elles contractent une assurance perte de gains. Selon les types de contrats conclus, un employé malade perçoit généralement 80% de son salaire durant 720 jours après un délai d’attente fixé contractuellement. Si a contrario l’employeur ne s’est pas assuré, la couverture est moindre. La loi et la jurisprudence prévoient le versement du salaire complet sur une durée qui varie en fonction de l’ancienneté dans le poste [7]. C’est l’échelle de Berne qui sert de référence dans la plupart des cantons. Elle prévoit 3 semaines de salaire durant la première année de service, 1 mois pendant la deuxième année, 2 mois durant les troisième et quatrième années de service, etc. Certaines conventions collectives offrent parfois des délais plus longs.
Du côté des administrations publiques, les conditions de travail sont régies par des règles propres : les dispositions relatives à la protection contre le licenciement et au droit au salaire peuvent varier d’une entité à l’autre. Quant aux travailleurs indépendants, ils sont généralement moins protégés que les salariés contre les risques liés à la maladie.
L’imprévisibilité, obstacle majeur à la reprise
Le cancer, expérience difficile qui peut laisser de nombreuses séquelles et mener à une précarité financière, fait émerger de façon criante la nécessité de trouver des solutions pour ne pas laisser les actifs en rémission au bord de la route. La gestion de cette maladie sur le lieu de travail est un exercice difficile, pour l’employé comme pour l’employeur. L’imprévisibilité constitue un obstacle majeur pour les entreprises, contraintes de trouver des solutions pour pallier l’absence du collaborateur tout en répondant à des impératifs de rendement. L’incertitude pèse également sur les épaules de l’employé, dont les performances connaissent souvent des hauts et bas contrastés. Il ne sait pas toujours s’il aura les ressources nécessaires pour suivre le rythme et répondre aux exigences que requiert l’exercice de son poste.
Face aux difficultés rencontrées par les employés et employeurs, la Ligue vaudoise contre le cancer a développé un dispositif de soutien à leur intention. Job coaching, séances d’information, ligne téléphonique gratuite, médiations : ces outils mis à disposition depuis l’automne 2017 ont pour objectif de favoriser la reprise du travail après un cancer. Il n’existe évidemment pas de recettes toutes faites pour y parvenir, mais différentes mesures ont fait leurs preuves et pourraient être appliquées de manière systématique en entreprise. A commencer par une préparation commune du retour sur le lieu de travail.
Reprise graduelle et adaptation de l’activité
La communication constitue un élément clé de ce processus de réintégration. Quand il est possible, le maintien du lien entre employeur et employé tout au long de la maladie constitue un réel plus. Le dialogue permet tour à tour à chaque partenaire de faire part de ses craintes et attentes pour la suite. Si l’employé y consent, informer le reste de l’équipe sur les étapes clés du traitement et de ses conséquences est positif : la transparence incite les collaborateurs susceptibles de voir leur charge de travail augmenter à faire preuve de souplesse. Il faut en parallèle les protéger de toute forme de déstabilisation : le cancer exerce un effet miroir et renvoie à sa propre fragilité. Le recours à des intervenants spécialisés, comme ceux de la médecine du personnel, du service des ressources humaines ou d’une ligue contre le cancer s’avère bénéfique.
Autre élément qui présente une incidence positive sur le maintien de l’activité professionnelle après la maladie : une reprise graduelle, accompagnée d’évaluations régulières. Une personne qui a traversé l’épreuve du cancer ne peut être pleinement productive dès son retour en entreprise. En prolongement de cette mesure, des adaptations du poste, de l’activité et des horaires sont préconisées lorsque l’employé n’arrive pas à reprendre son travail à l’identique. L’assurance-invalidité (AI) finance des mesures de réadaptation et divers moyens auxiliaires. Dans certains cas, une reconversion est inévitable. Toutes ces options épuisées, c’est vers l’octroi d’une rente qu’il convient de s’orienter.
Reprendre sa vie en main
De manière plus large, les mesures de préservation de l’emploi après le cancer font partie intégrante de l’offre en réadaptation oncologique développée à l’intention des survivants au cancer. Elle vise à améliorer la qualité de vie des patients et faciliter la reprise de leurs activités quotidiennes. C’est un processus axé sur la santé et l’autonomie [8]. Il se traduit par une prise en charge globale qui tient compte des dimensions physique, psychique et sociale de la maladie tout comme des ressources du patient.
Un nombre important de cancers revêtent désormais un caractère de maladie chronique, reflet des formidables progrès médicaux des dernières années. Ce bond en avant scientifique doit s’accompagner d’avancées sociétales dans le suivi et la réadaptation des survivants, notamment en matière de gestion de la santé en entreprise. Les grandes structures peuvent faire preuve de plus de souplesse que les PME, c’est indéniable. Reste qu’il appartient à la société de trouver des solutions innovantes pour que les employeurs composent avec les moments de fragilité de certains de leurs employés. Revisiter notre conception du travail, axée pour une large part sur le rendement immédiat, constitue une piste prometteuse pour répondre à ce pari.
[1] Volker Arndt, Anita Feller, Dimitri Hauri, Rolf Heusser, Christoph Junker, Claudia Kuehni, Matthias Lorez, Verena Pfeiffer, Elodie Roy, Matthias Schindler, « Le cancer en Suisse, rapport 2015 ; Etat des lieux et évolutions ». Publication commune de l’Office fédéral de la statistique (OFS), de l’Institut national pour l’épidémiologie et l’enregistrement du cancer (NICER) et du Registre suisse du cancer de l’enfant (RSCE), p. 9, 2016.
[2] Kathrin Kramis-Aebischer, «Krebsbetroffene am Arbeitsplatz», Personal Schweiz - Das Magazin für die schweizer Personalpraxis, 01.12.2016.
[3] Ligue contre le cancer, « Gérer le cancer sur le lieu de travail ; Etat des lieux de la recherche », fiche d’information, octobre 2014.
[4] Kurt Pärli, Jürg Guggisberg, Julia Hug, Thomas Oesch, Andreas Petrik, Melania Rudin, «Arbeit und Krankheit; Berufliche Wiedereingliederung von Personen mit länger andauernder Arbeitsunfähigkeit – Eine Untersuchung zur Rolle des Rechts und des sozialen Umfeld», Zürcher Hochschule für angewandte Wissenchaften, Winterthur, p. 5, 2013.
[5] Ligue contre le cancer, « Gérer le cancer sur le lieu de travail ; Etat des lieux de la recherche », fiche d’information, octobre 2014.
[6] Code des obligations, Art. 336c, alinéa b.
[7] Code des obligations, Art. 324a, alinéa 2
[8] Beate Schneider-Mörsch, « La réadaptation oncologique ambulatoire - manuel d’information », Ligue contre le cancer, 2017
Cet article appartient au dossier Le prix de la santé
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Chantal Diserens et Béatrice Tille, «Après le cancer, l’enjeu du retour au travail», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 7 janvier 2019, https://www.reiso.org/document/3870