Le rêve collectif se réalise à Meyrin
Les membres des coopératives d’habitation, les élus, les urbanistes, les travailleurs sociaux, les commerçants, les nouveaux habitants, les voisins, etc. Tous contribuent à la démarche participative des Vergers, écoquartier à Meyrin.
Par Melissa Rebetez, secrétaire générale adjointe de la Ville de Meyrin
[1] Ville de la couronne urbaine du canton de Genève, la cité moderne de Meyrin est née à l’aube des années 60 du projet d’urbanistes guidés par les principes du fonctionnalisme et du progrès. Située à proximité des organisations internationales et abritant le CERN sur son territoire, elle voit aujourd’hui coexister pas moins de 130 nationalités. Quatrième ville du canton, elle compte 23’500 habitants, 24’000 emplois et quelque 1500 entreprises. La volonté du Conseil administratif d’accompagner la construction du quartier d’une démarche participative s’est inscrite dans un contexte favorable. Meyrin était porteuse de la riche expérience découlant de l’histoire particulière de sa construction. Depuis 2007, elle a fait évoluer ses pratiques en matière d’action sociale. Elle a adopté, le plus souvent, la méthodologie et la posture professionnelle de l’action sociale communautaire.
Son action inhérente à de microprojets d’habitants ou à la conception d’infrastructures publiques, telles des places de jeux, a favorisé l’émergence « de toute initiative issue de personnes, d’organismes, de communautés visant à apporter une solution collective et solidaire à un problème social ou à un besoin commun. » [2]
Ainsi, l’histoire de la cité, son identité marquée, sa culture du dialogue, la mission d’intégration et de cohésion sociale du service social de proximité lui ont donné la maturité nécessaire pour se projeter dans une expérience de l’ambition des Vergers. Cet écoquartier s’érige sur 16 hectares et logera 3000 personnes. Une trentaine d’immeubles offrant 1350 logements y seront construits. Conformément aux dispositions légales genevoises, les Vergers réalisent la mixité sociale en prévoyant que la moitié du parc immobilier relève de loyers libres (location, propriété par étages), tandis que l’autre moitié relève de logements subventionnés. Trois parkings souterrains desserviront le quartier avec accès depuis l’espace public, excluant le transit routier. Les Vergers ont accueilli leurs premiers locataires fin 2015 et le chantier se poursuit jusqu’en 2020.
Renforcer la cohésion et la démocratie
A l’origine, la démarche participative aux Vergers a été une rencontre. Rencontre d’une volonté politique affirmée de promouvoir la citoyenneté active et de personnes engagées au sein de coopératives participatives d’habitation. Rencontre autour d’un rêve de style de vie pour les êtres humains et d’une envie partagée de sauvegarder la nature. Les édiles, s’appuyant sur les professionnel·le·s du travail social, ont été animés par la volonté de rendre aux personnes leur pouvoir de décider pour ellesmêmes et de renforcer la cohésion sociale. Les premières coopératives d’habitation souhaitaient satisfaire leurs principes de partage, de solidarité et de sobriété énergétique.
Après discussion, la démarche a été ouverte aux habitant·e·s de la ville et non seulement à ceux du quartier en fonction des sujets à discuter. S’en est suivie une réflexion sur la profondeur de la démarche participative. Entièrement conçue par les partenaires, elle a été envisagée comme une fin en soi sur la base d’une certaine conception de la démocratie. De plus, elle a été considérée comme le meilleur moyen de faire émerger les choix pertinents pour le quartier.
Les premiers acteurs des Vergers ont estimé que la démocratie ne se réduit pas à une procédure de prise de décision avec des élections et des votations. Ils ont vu dans la démarche participative l’expression des valeurs essentielles de la démocratie, en particulier les deux valeurs cardinales de liberté et de solidarité. La liberté a été envisagée comme celle à accorder aux personnes d’exercer leurs droits de se déterminer sur les choix impactant leur vie. La solidarité a renvoyé aux notions d’entraide, de coopération, de noncompétition entre les personnes.
La démarche participative a dès lors été vue comme devant permettre une « liberté réelle » d’exprimer sa voix et de contribuer au projet commun. C'est-à-dire d’être en capacité d’user de la possibilité offerte. Ceci par opposition à une « liberté formelle » relevant davantage d’un simple processus de prise de décision.
Espaces, groupes et forum
Afin d’assurer une liberté réelle de participer, les acteurs concepteurs de la démarche ont mené une réflexion approfondie sur la manière de réaliser ce postulat et d’organiser les choses en conséquence. A titre d’exemple, évoquons la création d’espaces de discussion qui ont revêtu diverses formes impliquant des degrés de participation plus ou moins importants. Ils ont été animés par un facilitateur et régis sur la base de règles de discussion ; les décisions s’y sont prises au consentement à la majorité. La participation a également été réalisée à travers des groupes de projets, fruits d’un forum ouvert [3]. Une équipe de travail social a assuré la facilitation dans ces diverses instances. Côté finances, la démarche dispose d’un budget de fonctionnement annuel de 120’000 francs financé à parts égales par les maîtres de l’ouvrage du quartier : la collectivité publique, les coopératives participatives, dont la Fondation Nouveau Meyrin, et les opérateurs privés.
L’organisation des projets aux Vergers a visé tant l’empowerment individuel que communautaire des participants [4]. Soit respectivement la capacité des personnes d’agir sur leurs conditions de vie et la capacité de la communauté de personnes d’agir en fonction de ses propres choix.
Cette conception de la participation rejoint les valeurs et les principes d’intervention de l’action sociale communautaire. Les professionnel·le·s ont créé les conditions et le cadre afin que les participant·e·s s’approprient le pouvoir nécessaire à rejoindre une réflexion; qu’ils y contribuent et agissent selon leurs envies et leurs besoins. De manière générale, les participants à la démarche ont gagné en confiance, en expérience et en compétences. Ces personnes ont ainsi tenu une place et un rôle de citoyen actif.
Les premiers locataires se sont installés dans le nouveau quartier à fin 2015. Le chantier se poursuit avec de multiples projets. Quelque 66 arcades sont destinées à abriter des activités socioculturelles ou des commerces sociaux et solidaires. Vient d’être inauguré, en juin 2018, la Mini-Fève, un supermarché participatif paysan qui attire déjà bien des adeptes. Et s’installeront progressivement d’ici à 2020 une pharmacie, un fleuriste, un pressing, un coiffeur, une boulangerie, un tabac-journaux, une épicerie fine et une agence de voyage, des échoppes de petite restauration et une « auberge des voisins ». Ouvriront aussi leurs portes une école publique, trois écoles privées, une crèche municipale, un centre de psychomotricité, des ateliers d’insertion socioprofessionnnelle et des centres d’activités de loisirs. Le processus de sélection des activités à attirer dans le quartier relève lui aussi de la démarche participative.
La légitimité des citoyen·ne·s
A Meyrin, au fil des années, les modestes expériences dans le champ de l’action sociale communautaire ont fait sensiblement bouger les lignes. La reconnaissance de la légitimité des citoyens d’exprimer leurs besoins a crû parmi les élus et l’administration. La nécessité de formaliser la collecte de ces besoins s’est affirmée. C’est ainsi que la vision politique s’est modifiée, s’accompagnant d’un assouplissement des pratiques au sein de l’administration.
La démarche participative aux Vergers est la démonstration de la force d’un groupe à traduire des idées en actes, à créer des sources de bien vivre ensemble, à produire du lien et du plaisir. Le groupe donne confiance en soi, en l’autre, en l’avenir.
Aux Vergers, rien n’aurait été pareil sans cette rencontre entre une collectivité publique expérimentée et engagée pour le bien vivre des habitants et des représentants de coopératives d’habitation participatives. Mais cela n’aurait pas été pareil non plus sans l’intervention des professionnel·le·s du travail social.
[1] Cet article a été publié dans ActualitéSociale N° 73, mars-avril 2018, le magazine d’AvenirSocial
[2] Lavoie, Jocelyne et PanetRaymond, Jean (2014). La pratique de l’action communautaire, Québec, Presses de l’Université de Québec.
[3] Le forum ouvert est une technique d’animation sociale recourant à l’intelligence collective.
[4] Masse, Manon, Dubath, Maëlle et Delessert, Yves (2016). Des espaces collectifs d’expression au sein des institutions socio-éducatives, Genève, éditions IES.
Cet article appartient au dossier Habiter ensemble
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Melissa Rebetez, «Le rêve collectif se réalise à Meyrin», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 18 septembre 2018, https://www.reiso.org/document/3460