Projet participatif pour une nouvelle Constitution
Mille enfants et adolescent·e·s valaisan·ne·s ont participé à la révision de la Constitution de leur canton. Loin d’être un exercice alibi, le processus a débouché sur de multiples propositions concrètes.
Par Nicole Langenegger Roux directrice et Audrey Monbaron-Nendaz, collaboratrice scientifique, Haute école de travail social HES-SO Valais-Wallis, Sierre
En mars 2018, la population valaisanne a accepté l’initiative populaire en faveur de la révision totale de sa Constitution cantonale, datant de 1907. Les travaux de révision se sont vus confiés à une Constituante, composée de 130 membres. Elu·e·s par le peuple, elles et ils représentent les groupes politiques et la société civile.
Peu après leur élection, plusieurs constituant·e·s ont sollicité différentes institutions. Leur but ? Initier un projet de consultation des enfants et des adolescent·e·s du canton du Valais, afin que les moins de 18 ans puissent exprimer leur avis et être entendu∙e·s dans le cadre de cette révision. De cet élan est née la « Constituante des enfants et des adolescent·e·s » [1].
La Convention relative aux droits des enfants (CDE), ratifiée par la Suisse en 1997, ainsi que l’Agenda 21 adopté lors de la conférence « Planète Terre » en 1992, posent les bases de la participation des personnes mineures sur tous sujets qui les concernent. L’article 12 al. 1 de la CDE précise : « Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité » (Nations Unies, 1989). Cet article a été renforcé en 2009 par l’Observation générale n°12 du Comité des droits de l’enfant. Il donne un cadre précis sur lequel s’appuyer afin d’assurer que la conception et la réalisation d’un projet participatif soit éthique et respectueux de l’enfant.
Un laboratoire pour participer
Ce projet valaisan se déroule dans un contexte unique et met en œuvre une méthodologie s’appuyant sur les quatre dimensions (space, voice, audience, influence) du modèle de Lundy (2007). Space signifie la mise à disposition d’un espace sûr et inclusif et voice la facilitation de l’expression de l’enfant. Audience indique que son opinion doit être entendue et influence que celle-ci doit être prise en compte lorsque cela est approprié.
Dès la phase préparatoire, des enfants et adolescent·e·s ont été intégré∙e·s à la co-construction de la démarche, notamment pour affiner la méthodologie participative. Un soin a été apporté afin que le langage et le format utilisés tiennent compte de la diversité et du degré de développement de chacun·e.
Durant l’automne 2020, des ateliers animés par des intervenant·e·s formé∙e·s ont été proposés à plus de 1000 enfants et adolescent×e·s. Ces rencontres leur ont permis d’exprimer leurs préoccupations et leurs intérêts. Elles ont débouché sur des propositions concrètes, synthétisables et utilisables par les commissions thématiques de la Constituante.
Afin d’éviter une approche de l’ordre du symbolique récoltant l’opinion des moins de 18 ans sans que celle-ci soit réellement prise en considération, un groupe « Ami·e·s de la Constituante enfants » a été créé. Ces constituant·e·s sensibles à la participation active de la jeunesse ont joué un rôle crucial. Ils et elles ont veillé à ce que le projet reste en phase avec l’avancée des travaux de la Constituante et relayé les propositions auprès de ses membres.
Une restitution finale a été organisée afin de créer un échange entre des jeunes ayant participé aux ateliers et des représentant·e·s (notamment du collège présidentiel) de la Constituante.
Des ateliers pour faciliter l’expression
Deux ateliers en petits groupes ont été proposés aux enfants et adolescent·e·s : le premier était axé sur des thématiques à prioriser, telles que le travail, la famille, ou encore les droits et les devoirs. Il a contribué à mieux cerner les intérêts et préoccupations des participant·e·s. Le second visait à approfondir une question en lien avec les travaux actuels de la Constituante, dans la perspective d’obtenir des propositions ciblées à transmettre aux constituant·e·s. Ces activités ouvraient la possibilité d’offrir aux jeunes un panel varié de méthodes participatives [2], afin que chacun·e y trouve son compte et que l’expression du plus grand nombre s’en trouve facilitée.
Une courte capsule vidéo de présentation de la « Constituante des enfants et des adolescent·e·s » a également été réalisée puis visionnée par l’ensemble des groupes comme introduction à chaque rencontre. Ce choix a été motivé pour garantir une transmission complète et similaire des informations à toutes et tous. Un tel moyen de véhiculer l’information, visuel et ludique, devait également contribuer à capter l’attention et l’intérêt des protagonistes.
Une pédagogie pour encourager la citoyenneté
Ce projet s’inscrit dans une approche propre à l’apprentissage expérientiel (Kolb, 1984), à l’instar des nouveaux programmes pédagogiques de type « Team Academy ». Ceux-ci s’appuient sur l'expérience pratique dans le processus d'acquisition de connaissances et de compétences (Dewey, J., 2011/1916). Cette mise en situation offre non seulement la possibilité de développer des aptitudes telles que la capacité à argumenter, la collaboration et l’écoute en vue d’une recherche de consensus, mais elle apporte également aux enfants un apprentissage solide de leurs droits en les expérimentant. Ils et elles sont ainsi sujets de droits et non objets de droit.
Leur participation active à l’occasion de la révision de la Constitution valaisanne a immergé les moins de 18 ans dans les débats démocratiques. Cet évènement exceptionnel et rare les a confronté·e·s à leurs convictions et à leurs croyances et leur a donné l’occasion de réfléchir à leurs propres valeurs et de développer une conscience de leur place dans un monde plus global (Morin, 1990).
Le Comité des droits de l’enfant signale que « toute manipulation des enfants par des adultes plaçant les enfants dans une situation où on leur dit ce qu’ils peuvent dire (…) n’est pas une pratique éthique et ne saurait constituer une mise en œuvre de l’article 12 » (2009, p.27). Afin de réduire les risques d’une manipulation des participant·e·s, une attitude adéquate des intervenant·e·s était fondamentale, soutenant ainsi « une préparation essentielle à la vie politique où les conflits de la société doivent être résolus. » (McCowan, 2009). Dès lors, tou·te·s les animateur·trice·s ont reçu une formation leur donnant l’occasion de développer une posture neutre et de stimuler la réflexion des jeunes participant·e·s sans orienter leurs intentions ou émettre des suggestions personnelles.
Des postulats pour un avenir durable
La palette des propositions exprimées par les enfants et les adolescent∙e·s durant les ateliers reflète la grande diversité et la richesse de leurs idées. Ces dernier∙ère·s ont mis en évidence plusieurs thèmes qu’ils et elles jugent prioritaires : la protection de la planète, la santé, la famille, la formation ou encore l’égalité.
Ils et elles ont émis des recommandations concrètes à ces sujets, comme réduire l’utilisation du plastique, limiter la déforestation, valoriser les matières renouvelables et le recyclage et soutenir la mobilité douce pour protéger la planète. En lien avec l’enseignement, ils et elles préconisent de proposer aux élèves des cours à choix et orientés vers la pratique et l’actualité, de réduire l’importance des notes et d’exploiter les nouvelles technologies pour améliorer la formation. Dans le domaine sanitaire, les enfants et les jeunes demandent de mettre en place des mesures préventives et d’améliorer le système hospitalier pour garantir un accès universel à la santé. Enfin, en matière de droits humains, ils et elles prescrivent d’agir contre la violence et les discriminations, de défendre l’égalité salariale entre les femmes et les hommes et de soutenir la diversité et l’égalité.
Un tel projet permet de fédérer les forces d’un grand nombre d’acteurs et d’actrices œuvrant pour l’enfance et la jeunesse, que ce soit au niveau cantonal, de la formation, des partenaires privés ou du terrain.
La place octroyée aux enfants et aux adolescent·e·s valaisan·ne·s à travers cette démarche peut être perçue comme un pas supplémentaire vers plus d’implication active de leur part dans les domaines de la société qui les concernent directement.
Dans le sillage de cette expérience, plusieurs initiatives devraient voir le jour, à l’image de la mise en place d’un réseau de partenaires valaisan·ne·s réfléchissant au développement de projets et de processus participatifs. Le renforcement de la collaboration entre le Service cantonal de la jeunesse, la Haute école pédagogique Valais et le Service de l’enseignement est en discussion. Enfin, la création d’une session des enfants ou encore la formalisation d’un processus participatif orientant les actions futures des communes et du canton sont également imaginées. De quoi accorder aux jeunes Valaisan·e·s un accès à la voix de leur avenir.
Bibliographie
- Comité des droits de l’enfant, Nations Unies. (2009, 20 juillet). Observation générale n° 12 (2009) : le droit de l’enfant d’être entendu. Consulté le 11.02.2020
- Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’Enfant. (CRC/C/143)
- Dewey, J. (2011/1916). Démocratie et éducation, suivi de Expérience et éducation. Paris, France : Armand Colin
- Kolb, D.A. (1984). Experiential learning. Englewood Cliffs, New Jersey : Prentice-Hall
- Lundy, L. (2007). «Voice» is not enough: conceptualising article 12 of the United Nationc onvention on the rights of the child. British educational research journal, 33(6), 927-942
- Morin, E. (1990). Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF
- McCowan, T. (2009). Rethinking Citizenship Education : a Curriculum for Participatory Democracy. London : Continuum
- Zermatten, J. (2009). Le droit de l’enfant d’exprimer son opinion et d’être entendu (art. 12 CDE). In D. Stoecklin & J. Zermatten (dir.), Le droit des enfants de participer : norme juridique et réalité pratique, contribution à un nouveau contrat social. Sion, Suisse : Institut international des droits de l’enfant
[1] Ce projet est porté conjointement par la Haute Ecole de Travail Social de la HES-SO Valais-Wallis, la Haute Ecole Pédagogique Valais, le Centre interfacultaire en Droits de l’Enfant de l’Université de Genève, le Service cantonal de la Jeunesse, le Service de l’enseignement et la Fondation Sarah Oberson.
[2] Citons les discussions en sous-groupes, la classification de thèmes par priorité, le dessin ou encore la schématisation et l’écriture.
Cet article appartient au dossier Chaudron de culture
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Nicole Langenegger Roux et Audrey Monbaron-Nendaz, « Projet participatif pour une nouvelle Constitution », REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 29 mars 2021, https://www.reiso.org/document/7259