Comment agir quand décède un·e élève?

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Comment les dispositifs internes et externes des établissements scolaires et de formation en Suisse romande soutiennent-ils les élèves après le décès d’un·e camarade? Un travail de bachelor a exploré les pratiques.
Par Emma Herzog, éducatrice sociale, Lausanne, Danila Mendolia, éducatrice sociale, Lausanne, et Aurélie Jung, chargée de recherche, Haute école de travail social et de la santé, Lausanne (HES-SO)
La mort intervient dans tous les contextes sociaux. Et les milieux d’apprentissages, tels que l’école obligatoire et les établissements de l’enseignement postobligatoire, n’y font pas exception. Lorsqu’un·e jeune personne décède, l’organisation scolaire s’en trouve profondément perturbée. Il s’agit alors de trouver des moyens pour gérer cet événement, tout en maintenant un cadre sécurisant pour les élèves (Romano, 2015).
La question de la mort et du deuil est souvent évitée dans les écoles, considérée comme trop traumatisante. Cependant, il est désormais reconnu que ce silence peut s’avérer préjudiciable, provoquant des angoisses chez les enfants lorsqu’ils et elles sont confronté·es à la mort (David Le Breton, 2015).
La recherche [1] faisant l’objet de cet article a exploré la gestion des ressources internes et externes des lieux de formation face au décès d’un·e élève. En situation de « crise », si les enseignant·e·s et l’ensemble du personnel scolaire n’assurent pas un rôle de « thérapeutes » — compétence qui s’inscrit en dehors de leur champ de compétences et d’intervention — quels sont leurs actions et soutiens possibles ?
L’étude, réalisée dans le cadre d’un travail de bachelor en éducation sociale en Suisse romande, repose sur des entretiens menés avec sept professionnel·les du travail social et de l’éducation sociale : deux infirmières scolaires, un éducateur social scolaire, une aumônière scolaire, une intervenante psychosociale, un psychologue, ainsi qu’une spécialiste en sciences de l’éducation et sur le sujet de la mort et du deuil. Ces échanges ont permis de mettre en lumière les pratiques et les expériences de ces acteurs et actrices sur le terrain.
Les sept phases de gestion de crise
Il ressort de l’analyse de l’ensemble des témoignages que la gestion d’une situation de décès d’un·e élève peut être abordée comme une succession de différentes phases. À partir des données recueillies, un schéma type de sept étapes clés a pu être identifié. Celles-ci regroupent les actions des professionnel·les dans l’accompagnement immédiat de l’incident fatal ainsi que pour le suivi des élèves.
Les sept étapes de la gestion de crise
1. Sensibilisation et prévention des professionnel·les scolaires avant tout incident critique
2. Déploiement de la cellule de crise à la suite d’un décès
3. Annonce aux élèves
4. Prise en charge immédiate
5. Mise en place d’un espace de recueillement
6. Funérailles
7. Clôture de la cellule de crise et évaluation de la gestion
Essentielle, la première phase, intitulée « Sensibilisation et prévention des professionnel·les scolaires », contribue à préparer le personnel à la gestion d’une crise. Cette étape préventive fait écho à la septième et dernière phase, celle de l’évaluation de la gestion après la clôture de la cellule, dans l’objectif d’optimiser la prise en charge en cas de décès futur. Ainsi, ces différents stades s’inscrivent dans un processus cyclique qui favorise une réflexion des professionnel·les sur leur action, afin d’améliorer continuellement le processus de gestion de crise.
Schéma du processus circulaire en sept phases.
Le déploiement de la cellule de crise
Lorsqu’un·e élève décède, la direction de l’établissement scolaire informe immédiatement les professionnel·les et active généralement la cellule de crise. Celle-ci représente la première ressource dans la gestion d’une telle situation. Ce dispositif peut également se déployer en réponse à un autre événement majeur (accident, incendie, catastrophe naturelle, attentat) nécessitant un accompagnement spécifique pour les élèves.
La cellule de crise est composée de plusieurs professionnel·les — direction, secrétariat, médiateur·trice, doyen·ne, infirmier·ère scolaire, psychologue scolaire, aumônier·ère, éducateur·trice scolaire, et enseignant·es —, qui ont tout·es dû suivre une formation auprès d’un dispositif cantonal externe de soutien aux établissements scolaires pour l’intégrer. En plus d’assumer la formation des membres d’une cellule de crise, ce groupe, constitué de professionnel·les en psychologie, se tient à disposition lors d’incidents graves ou de problématiques nécessitant le regard et le soutien de spécialistes.
La cellule interne aux établissements comprend également un comité de pilotage (COPIL), reposant sur quatre rôles clés : un·e dirigeant·e pour les décisions, un·e coordinateur·trice, un·e responsable du suivi des élèves, et un·e secrétaire pour le compte rendu des actions.
Sur le terrain, certain·es estiment qu’un protocole précis contribue à guider les professionnel·les dans un contexte émotionnellement perturbé, où les actions peuvent être influencées par les vécus personnels. D’autres considèrent qu’un tel cadre peut être trop rigide, ne laissant pas suffisamment de place à l’adaptation aux spécificités de chaque situation.
L’analyse montre que, dans la majeure partie des cas, le dispositif externe de soutien aide les personnes engagées dans la cellule de crise, sans intervenir directement auprès des élèves. Le personnel scolaire peut aussi mobiliser d’autres ressources, comme des intervenant·es psychosociaux ou des organisations spécialisées dans le deuil, pour guider l’accompagnement des élèves pendant et après la crise.
L’espace de recueillement
Généralement, un jour après l’annonce du décès (phase 3) et la mise en place d’un espace de parole (phase 4), un espace de recueillement est proposé aux élèves. Ce lieu permet de déposer un objet ou d’écrire un message en mémoire du ou de la défunt·e ou pour sa famille, gestes symboliques qui permettent une valorisation de la relation partagée avec le·a défunt·e et la conscientisation de l’irréversible réalité. Il constitue un espace supplémentaire de soutien pour les camarades qui en ressentent le besoin, et reste ouvert plusieurs jours selon la situation et la décision de la cellule de crise. Les psychologues et infirmiers·ères scolaires sont présent·es pour veiller à son bon usage et apporter un soutien éventuel.
Dans certains établissements, l’aumônier·ère apporte également une expertise précieuse dans la gestion de cet espace. Christine Fawer Caputo (2018) souligne l’importance de ce geste rituel, essentiel pour restaurer un sentiment de sérénité et de sécurité dans un établissement bouleversé par la mort.
Les facteurs d’intervention
L’intervention des professionnel·les et des ressources mobilisées dépend de plusieurs facteurs. L’âge du ou de la défunt·e et celui des camarades influence la manière dont l’accompagnement est déployé. Chez les jeunes enfants, la mort est souvent perçue de manière floue, tandis que chez les adolescent·es, elle peut perturber leur développement identitaire et social. L’accompagnement doit donc être adapté à leur compréhension et à leur perception de la mort.
Les causes spécifiques du décès jouent également un rôle crucial. Que la mort soit « intentionnelle » ou « non-intentionnelle », « prévisible » ou « imprévisible » n’indique pas nécessairement un besoin moindre de soutien. Face à la spécificité de chaque situation, il est essentiel de tenir compte des besoins spécifiques des élèves, et non de dérouler des actions normatives préconçues aux situations réelles.
L’accompagnement varie aussi selon la structure et la taille de l’établissement. Dans les écoles plus grandes, le suivi personnalisé se révèle plus complexe en raison de la distance avec les élèves. Dans les gymnases, le lien limité avec les familles peut affecter le soutien proposé. De plus, les transitions scolaires fréquentes représentent des facteurs compliquant la continuité de l’accompagnement à long terme, dans les cas où un·e élève se trouve en grande difficulté (sociale, psychologique, scolaire).
Enfin, les représentations personnelles des professionnel·les sur la mort et le deuil jouent un rôle déterminant dans l’accompagnement. Il n’existe pas de modèle d’actions officiel pour assurer la prise en charge d’un décès scolaire, et sa gestion varie selon les institutions. L’implication de la direction et des professionnel·les, déterminée par leurs connaissances, intérêts et vécus personnels, va finalement influencer l’accompagnement global d’une situation de décès dans un collectif (Baillat, 2015).
Du soutien pour un retour à la «normalité»
Les écoles et gymnases ne connaissent aucune obligation légale en matière d’accompagnement après le décès d’un·e élève. Chaque établissement définit ses propres pratiques internes, selon les ressources et l’implication de chacun·e. Cependant, il est essentiel que l’institution retrouve progressivement son cadre et sa mission principale. Bien que cela puisse sembler contre-intuitif, il est bénéfique pour les élèves de retrouver de la stabilité, un rythme et des habitudes scolaires. Les professionnel·les peuvent ainsi jouer un rôle important pour aider les jeunes à revenir à un environnement structuré, propice à un retour à la « normalité ».
Encore peu impliqué·es dans la gestion de ces événements, les éducatrices et éducateurs sociaux scolaires (ESS) pourraient jouer un rôle clé dans ce processus de stabilisation. Actuellement, la gestion de ces évènements reste principalement dominée par le milieu de la santé, avec les infirmiers·ères scolaires en première ligne. Une approche interdisciplinaire, dans laquelle les travailleurs et travailleuses sociales amèneraient leurs compétences complémentaires, ne pourrait s’avérer que bénéfique à une appréhension collective des phénomènes sociaux comme la mort et le deuil.
Bibliographie
- Baillat, M. (2015). Lorsque la mort pénètre les lieux de vie enfantine : enjeux de gestion et utilité d’un protocole. In C. Fawer Caputo, & M. Julier-Costes (Éds), La mort à l’école : annoncer, accueillir, accompagner (pp. 131-148). De Boeck.
- Fawer Caputo, C. (2018). Ritualiser la mort en milieu scolaire. In Jeffrey, D. & Roberge, M. (Éds). Rites et ritualisations (pp. 37-57). Laval : PUL, collection Sociologie.
- Le Breton, D. (2015). L’élève face à la mort et au suicide. In C. Fawer Caputo, & M. Julier- Costes (Éds), La mort à l’école : annoncer, accueillir, accompagner (pp. 23-34). De Boeck.
- Romano, H. (2015). Quand la mort survient à l’école : gestion de crise. In C. Fawer Caputo, & M. Julier-Costes (Éds), La mort à l’école : annoncer, accueillir, accompagner (pp. 149-168). De Boeck.
[1] Herzog, E., & Mendolia, D. (2024). Les dispositifs et ressources des établissements scolaires vaudois dans la gestion du décès d’un ou d’une élève. [Travail de bachelor non publié|. Haute école spécialisée de Suisse occidentale.
Lire également :
- Francesca Bosisio et al., «Le patrimoine numérique, danger pour le deuil?», REISO, Revue d'information sociale, publié le 17 octobre 2024
- Albulenë Ukshini Sefa, «Un deuil à vivre «entre deux portes»», REISO, Revue d'information sociale, publié le 7 août 2023
- Aurélie Masciulli Jung et Melissa Ischer, «Le deuil ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise», REISO, Revue d'information sociale, publié le 12 septembre 2022
- Véronique Eckert et Fabienne Coquillat, «Perte de grossesse précoce: un deuil invisible», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 10 janvier 2022
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Emma Herzog et al., «Le récit de pratique, un outil professionnel», REISO, Revue d'information sociale, publié le 7 juillet 2025,https://www.reiso.org/document/14330