L’hypnose thérapeutique intrigue…
Dans les hôpitaux, elle est utilisée pour soulager la douleur. Elle apparaît aussi dans les psychothérapies. Depuis peu, elle est pratiquée dans les EMS. Et vous, qu’en savez-vous ? Quels sont vos préjugés et vos croyances sur l’hypnose ?
Par Jenny Joseph, art-thérapeute, praticienne en hypnose en établissement résidentiel et cabinet privé, Lausanne
Depuis quelques années, elle est sur le devant de la scène. Il y a eu les spectacles d’hypnose, dont ceux du célèbre Messmer qui attirent des myriades de personnes curieuses de vivre les suggestions proposées, et il y a l’hypnose thérapeutique, pratiquée dans le champ de la santé. On en entend parler en terme d’hypnoanalgésie (liée à la douleur), d’hypnosédation (liée aux opérations) ou d’hypnothérapie (liée au champ de la psychothérapie). Chaque professionnel·le de la santé utilise l’hypnose selon son domaine de compétences avec une charte éthique définie et précise.
D’une manière générale, l’hypnose thérapeutique peut être vue comme « une communication d’excellente qualité, à la fois entre le patient et son thérapeute, et aussi entre lui-même et ses ressources et compétences intérieures » [1]. L’hypnose est utilisée dans les établissements hospitaliers comme le CHUV ou les HUG. D’intéressantes études y relatent les bénéfices dans l’accompagnement des personnes hospitalisées dans les services des grands brûlés et en oncologie.
En tant que praticienne en hypnose ericksonienne [2] et constatant au quotidien ses bienfaits et son utilité, je souhaite avec cet article partager expériences et réflexions sur ce vaste sujet qu’est l’hypnose, plus particulièrement en lien avec la personne âgée et la vie en établissement résidentiel. Travaillant depuis sept années dans un EMS en ayant débuté comme art-thérapeute, j’ai observé que, d’une part, la mise en œuvre créative n’est pas toujours aisée pour les personnes et que, d’autre part, les angoisses, la dépression, l’agitation, les troubles du comportement et les syndromes post-chutes étaient fortement présents. La médication, seule, n’est pas toujours suffisante. Je me suis donc renseignée sur les bienfaits de l’hypnose en EMS. Peu de littérature existait à ce moment-là. J’ai fait le pari que cette technique servirait probablement aux personnes vivant dans l’établissement. Après une première formation certifiée ASCA [3], je poursuis ma formation depuis six mois à la Haute école de santé Valais-Wallis en Art et Techniques hypnotiques afin de faire valider les acquis de ces dernières années et de développer de nouvelles connaissances et compétences.
Les yeux fermés ou ouverts ?
Il existe deux formes d’hypnose principales: l’hypnose formelle et l’hypnose conversationnelle. La première est un état de transe, provoqué, plus ou moins profond, alors que la deuxième est pratiquée dans un état de veille, avec une légère dissociation. L’état clinique diffère. Lors d’une séance formelle, la personne a souvent les yeux fermés, le réflexe de déglutition est diminué et d’autres signaux sont possibles. Lors de l’hypnose conversationnelle, la personne a les yeux ouverts mais le regard devient fixe. Milton H. Erickson parlait d’un « phénomène graduel » [4].
Aujourd’hui, au quotidien, j’utilise beaucoup plus l’hypnose conversationnelle. C’est uniquement avec quelques résidents que je propose des séances d’hypnose formelle comme en cabinet. Entre les outils acquis lors de ma première formation et le terrain, un fossé existait. Un important travail de recherche a été effectué pour adapter la technique de l’hypnose à la population de la personne âgée. Trois ouvrages ont soutenu la réflexion et la démarche [5].
En fait, proposer de l’hypnose en établissement résidentiel va au-delà d’une application stricto sensu de protocoles, c’est davantage une question de philosophie, de posture, d’accompagnement au quotidien. Un·e infirmier·ère n’a pas les mêmes compétences et connaissances qu’un·e art-thérapeute. L’hypnose ne sera donc pas utilisée pour les mêmes situations. Toutefois, malgré les domaines de compétences différents, un point commun rassemble ces pratiques, celui de la posture professionnelle face à un postulat de base.
Ce postulat pose le principe que, quel que soit l’âge de la personne, chaque être a des ressources en soi, qui peuvent être activées. « L’hypnose nous permet de nous recentrer sur le patient, de l’appréhender dans sa globalité, dans ce qu’il est, ce qu’il a été, de lui donner le choix d’accéder à ses propres solutions, dans un accompagnement bienveillant et empathique » (Floccia, p. 2). Invisible au départ, cette posture peut devenir un socle solide quand, au sein d’un établissement, un grand nombre de professionnels sont attentifs à leur posture et connaissent la communication thérapeutique (Floccia, p. 30). Le soin se retrouve humanisé et facilité. Tous les intervenant·e·s, c’est-à-dire tant les résident·e·s que les soignant·e·s et les proches aidant·e·s sont parties prenantes, et gagnantes, de la démarche.
La transe, état naturel fréquent et récurrent
Le domaine de l’hypnose est vaste, raison pour laquelle il n’existe pas de définition unique. Communément, il est dit que la transe hypnotique est un état modifié de conscience, de veille paradoxale [6] ou d’état de vigilance… Mais l’état de transe est avant tout un état naturel physiologique qui arrive environ toutes les nonante minutes, en chacun de nous. C’est « le réflexe de régénération ultradienne », c’est-à-dire de rythme biologique, notamment cardiaque, étudié par le Docteur Ernest Lawrence Rossi qui a co-écrit de nombreux ouvrages avec Milton H. Erickson. Savoir que l’état de transe est un état naturel, automatique, est particulièrement utile pour l’accompagnement de personnes âgées qui, régulièrement durant la journée, sont en état de transe.
Pratiquement, il est donc intéressant d’utiliser ces états naturels de transe pour amplifier les ressources des personnes et proposer des suggestions confortables et rassurantes face à cette période de vie emplie de pertes, de douleurs et de deuils. Le but visé de l’hypnose est de permettre aux personnes de retrouver cet état à chaque fois qu’ils en ont besoin et de laisser une trace positive, de niveau relationnel, afin que la vie en établissement ainsi que les soins soient vécus de la meilleure manière possible. L’hypnose conversationnelle peut y contribuer quotidiennement.
Il se peut que certains lecteurs soient sceptiques ou doutent de cette possibilité pour des personnes âgées d’entrer en état d’hypnose. Il est vrai qu’on observe une diminution des capacités d’abstraction et d’imagination dans le grand âge. Les troubles attentionnels sont plus fréquents, la capacité à faire plusieurs tâches diminue et la distraction devient plus rapide en cas d’interférences. Ces éléments sont majorés par les pathologies (douleurs, dépression, troubles neurocognitifs) et les traitements médicamenteux. Autant de modifications de capacités qui pourraient être un obstacle à l’hypnose.
Retrouver la personne là où elle se trouve
Toutefois, quelques études démontrent l’accessibilité des personnes âgées à l’hypnose mais sous une forme différente (Floccia, p. 27). L’état hypnotique peut être fréquemment interrompu, de courte durée, en discutant, en marchant ou en étant assis. Raison pour laquelle l’hypnose conversationnelle me semble plus adaptée. Elle peut être utilisée au quotidien pour, par exemple, stimuler l’envie de manger d’un résident en l’accompagnant au repas, pour gérer une angoisse lors d’une animation, pour gérer des troubles du comportement dans les lieux collectifs, favoriser le sommeil, stimuler la participation aux activités. L’hypnose conversationnelle aide à cheminer avec les résistances des personnes pour initier un changement de perception, d’état et favoriser du bien être.
Être praticien·ne en hypnose exige beaucoup d’heures de formation et de pratique pour maîtriser les différents outils de communication et stratégies. Elle n’est pas juste une distraction d’attention ou de visualisation, ni une simple relaxation. L’hypnose est « un outil de communication puissant» [7], montrant que les suggestions peuvent modifier et réduire les perceptions de douleurs ou d’angoisses (Palazollo, p. 235). L’application de l’hypnose au sujet âgé est un domaine récent. Espérons que la littérature suivra pour étayer les différentes expériences effectuées dans ce champ.
Finalement, alors que je me sentais parfois démunie avec les personnes âgées en situation de démence, je dispose désormais avec l’hypnose d’un important bagage d’outils, verbal et non verbal. Il me permet de retrouver et d’être avec la personne là où elle se trouve, aussi proche ou éloignée soit-elle de notre réalité.
Avec l’hypnose, il convient d’entrer dans l’espace de la personne au sens psychique et physique. Les préliminaires du soin permettent d’envisager sa participation active, que son consentement prenne une forme verbale ou non verbale. Pour cela, l’histoire de vie, les habitudes, les goûts, les désirs, les besoins, les relations et le rythme de la personne sont un appui précieux intégrant ainsi la singularité de chacun (Floccia, p. 92).
La personne et ses ressources sont replacées au cœur du travail de soin et d’accompagnement.
[1] Antoine Bioy et Thierry Servillat, Construire la communication thérapeutique avec l’hypnose, Dunod, 2017, 288 pages. Citation tirée de la p. 21.
[2] NDLR L’auteure est aussi formatrice, à la Federanim en «Hypnose appliquée» et, en collaboration avec Stéphanie Flückiger, à l’Université populaire de Lausanne en apprentissage à l’auto-hypnose.
[3] ASCA : Fondation suisse pour les médecines complémentaires
[4] Marie Floccia (dir.), Hypnose en pratiques gériatriques, Dunod, septembre 2018, 320 pages. Citation tirée de la p. 19.
[5] En plus des deux ouvrages cités ci-dessus : Jérôme Palazzolo, Claude Baudu, André Quaderi, Psychothérapies du sujet âgée – Prise en charge des pathologies du vieillissement, Elsevier Masson, 2016, 368 pages.
[6] Cf François Roustang, pionnier de l’hypnothérapie et auteur, entre autres, de Qu’est-ce que l’hypnose, Editions de Minuit, 1994 pour la première édition, 192 pages.
[7] Jean-Pierre Clément, Psychiatrie de la personne âgée, Médecine Sciences Publications, 2009, 650 pages.
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Jenny Joseph, «L’hypnose thérapeutique intrigue…», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 15 juillet 2019, https://www.reiso.org/document/4670