Vivre sa retraite au soleil. Loin des nuages?
Transformer sa retraite en vacances les pieds dans l’eau? Loin de la vision idyllique, la volonté d’éviter la marginalisation sociale motive certains départs. Une recherche a donné la parole à ces expatrié·e·s.
Par Marion Repetti, chercheuse FNS invitée à l’Université de Manchester
Le phénomène de la migration des retraités du nord en direction du sud a grandi de manière exponentielle au cours de la seconde partie du XXe siècle et sa croissance se poursuit [1]. L’Espagne accueille la plus grande proportion d’expatriés suisses retraités. En 2015, ce pays recensait 7’750 émigrés suisses âgés de 65 ans et plus qui paient leurs impôts, dont un nombre inconnu de personnes avec la double nationalité [2]. Ce chiffre ne prend pas en compte les «migrateurs» qui vivent une partie de l'année en Espagne et gardent leur domicile principal en Suisse. Sur le site internet du Département fédéral des affaires étrangères, une page spéciale fournit des informations aux personnes qui envisagent de s’expatrier à la retraite [3]. Plusieurs questions y sont abordées : les obligations fiscales, l’accès aux soins ou la perception de la rente AVS à l’étranger. Des pages internet semblables existent sur les sites des gouvernements d’autres pays européens (Royaume Uni, France, Belgique, Allemagne, etc.) et nord américains (États-Unis et Canada) [4].
Qu’en est-il de l’iconographie ? Sur le site de l’administration fédérale, une photo idyllique d’un « bateau-maison en Thaïlande » [5] présente cette forme de migration comme un moyen de transformer sa retraite en de longues vacances au soleil. Cette représentation est également dominante dans la littérature sociologique selon laquelle « vivre sa retraite au soleil » [6] permet à la génération actuelle de retraité.e.s de profiter d’une liberté et des ressources financières générées par l’amélioration des dispositifs de prévoyance vieillesse au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Ces migrant.e.s y trouvent une communauté où créer des liens sociaux tout en étant à distance des contraintes familiales, notamment d’obligations liées à la grand-parentalité [7].
Partir pour ne pas se sentir exclu·e
Une série de quinze entretiens récemment menée avec des retraité.e.s du nord de l’Europe (Suisse, Royaume-Uni, Belgique et France) domicilié.e.s à Xabià, près d’Alicante en Espagne, révèle que parfois, la migration post-retraite prend un visage quelque peu différent. En effet, dans certains cas, ces personnes cherchent ainsi à se protéger contre un risque d’exclusion sociale et économique auquel elles font face. Leurs discours révèlent que le traitement social de la vieillesse qui existe dans leur pays de départ leur donnait l’impression en vieillissant de devenir des « bouches inutiles » (Janine, 58 ans, mariée, Suisse) alors qu’en s’installant en Espagne, elles estiment contribuer à la prospérité économique de la région. Elles considèrent également que rester dans leur pays de départ les aurait contraintes à des difficultés économiques. Ainsi, Jean, 66 ans (marié, Suisse) explique :
J’apprécie toutes les valeurs suisses et tout ça (…). Mais ce n’est plus vivable pour nos retraites. Je donne l’exemple de ma mère : avec la retraite, elle ne s’en sortait pas, heureusement qu’il y a eu l’aide à Lausanne… Ce n’est pas possible en Suisse et on voit alors des vieux qui ne sortent plus de chez eux, aussi parce que ça devient trop cher. [8]
En migrant vers le sud, ces personnes nourrissent donc l’espoir de bénéficier d’un contexte socioéconomique plus favorable que dans leur pays [9]. C’est ce qu’illustre cette citation de Jane (64 ans, divorcée, France). Avec sa rentre de 1100 euros mensuels, elle estime qu’elle peut « vivre au lieu de survivre » depuis qu’elle s’est installée en Espagne:
Vous savez ce que c’est survivre ? C’est se priver de tout finalement, c’est d’être là chez soi à attendre que le temps passe (…). Ici, hop, je peux aller boire le café avec mes copines, ça me coûte deux euros cinquante. Et je peux aussi mettre un peu d’argent de côté. Je suis seule, je cuisine, c’est bon marché, et je ne me prive de rien.
Les communications facilitent les liens familiaux
Un troisième facteur est l’élargissement de l’accès à la mobilité spatiale en raison de la globalisation des moyens communication à moindre coût. Les compagnies d’aviation produisent des vols bon marché ; les réseaux de communication internet transforment les notions de distance temporelle et spatiale, ce qui influence les relations transnationales [10].
Lors d’entretiens menés à Xabia, les retraité.e.s ont insisté sur le fait que ces moyens de communications permettent de maintenir des liens familiaux jugés intenses. C’est par exemple de cas d’Elisabeth (60, veuve, Royaume-Uni) qui passe plusieurs semaines par année en compagnie de ses enfants en recourant aux vols bon marché. Lorsqu’elle est à distance, elle a également des relations régulières avec sa famille :
J’ai beaucoup de relations avec mes enfants et mes petits-enfants qui sont toujours au Royaume-Uni. Par Facebook surtout (…) Messengers et Facetime. Je parle avec mes deux enfants tous les jours. Généralement, ma fille m’appelle tous les soirs. Et mon fils tous les jours en rentrant à la maison dans la voiture pour dire : « Salut maman, tout va bien ? » Et moi : « Oui, merci, tout va bien ». J’ai une bonne relation avec eux et avec les petits-enfants. Je suis en contact avec eux tout le temps donc je n’ai pas l’impression que quelque chose me manque.
Les risques sanitaires et financiers
Néanmoins, vivre sa retraite dans ce contexte expose les rentier.ère.s à d’autres risques. Ainsi par exemple, il n’est pas aisé d’accéder à un système de soins de longue durée sur le lieu de migration et, de fait, les problèmes de santé représentent un facteur majeur de retour [11]. Les risques sont parfois d’ordre financier, par exemple en perdant de l’argent investi dans un bien immobilier difficile à revendre. Cette préoccupation est partagée par des retraités de différents pays qui constatent que les prix de l’immobilier en Espagne stagnent alors qu’ils tendent à augmenter dans leurs pays de départ :
J’ai vendu ma maison en Angleterre pour en acheter une ici [il y a quinze ans]. C’était une erreur. J’aurais dû garder quelque chose en Angleterre. Mais je voulais acheter une maison aussi grande que celle que j’avais avant (…) et garder un pécule de côté pour mon futur. Les prix des maisons ont stagné ici alors qu’en Angleterre, ils ont extrêmement augmenté. Maintenant, si je voulais vendre ma maison ici, je ne pourrais même pas me payer un appartement d’une pièce en Angleterre. (John, marié, 67 ans, Royaume-Uni)
Le risque de se retrouver socialement isolé est également un enjeu pour ces personnes qui doivent organiser leur entrée dans la vieillesse sans soutien direct des proches. Ce dialogue entre deux expatriés en témoigne (Janine, 58 ans et Jean, 66 ans, mariés, Suisse):
- (Jean) Ici, on doit se débrouiller seuls. Avant, on voyait aussi autour de nous des situations où très souvent les enfants étaient absents, pour dire ce qui est.
- (Janine) C’est vrai, mais il y a aussi autre chose. Les enfants eux-mêmes savent qu’ils peuvent compter sur nous s’il y a un gros pépin.
- (Jean) Mais toi tu sais si tu peux compter sur eux si t’as un gros pépin ?
- (Janine) Je ne sais pas, je ne vis pas avec ça.
Se protéger contre la marginalisation
Ces quelques éléments donnent à penser que si la migration post-retraite est souvent lue comme un choix de « style de vie » opéré par des retraité.e.s privilégié.e.s, elle peut également traduire une recherche de protection contre un risque de marginalisation économique et sociale qui touche les personnes âgées dans les pays occidentaux. Cette stratégie induit d’autres sortes de risques qui peuvent se révéler le prix à payer pour bénéficier d’une place sociale à la retraite. Porter une attention particulière à la dimension socioéconomique dans cette forme de migration permet de compléter l’étude de ce phénomène et d’en révéler des enjeux qui ont trait à la fragilité des conditions de vie à la vieillesse dans les Etats occidentaux.
[1] Rémi Knafou, « Libres Propos. Vivre sa retraite au soleil : Représentations idéales, pratiques réelle », Gérontologie et société, n°139, 2011, pp. 179-186.
[2] EDA, Auslandschweizerstatistik 2015 nach Wohnländern und Konsularbezirken, EDA, Auslandschweizerbeziehungen, 3003 Bern, [en ligne] (2017-30-01).
[3] FDFA, « Retirement abroad », en ligne (2016-11-23).
[4] Gov.UK, « Moving or retiring abroad », en ligne (2016-11-23). France Diplomatie, « Vivre sa retraite à l’étranger », en ligne (2016-11-23). Service fédéral des Pensions, « Travailler / résider à l’étranger », en ligne (2016-11-23). Deutsche Rentenversicherung, « Rente im Ausland », en ligne (2016-11-23). US Departement of State, « Retirement Abroad », en ligne (2017-07-02); Government of Canada, « Retiring Abroad », en ligne (2017-07-02).
[5] FDFA, « Retirement abroad », en ligne (2016-11-23).
[6] Knafou, op. cit.
[7] Anya Amhed, Retiring to Spain. Women’s narrative of nostalgia, belonging and community, Bristol, Policy Press, 2015 ; Caroline Oliver, Retirement Migration, Paradoxes of Ageing, Abington, Oxon, Routledge, 2008.
[8] La rédaction de REISO adapte légèrement les citations orales pour leur transcription écrite.
[9] Andreas Huber et Karen O’Reilly, « The construction of Heimat under conditions of individualised modernity: Swiss and British elderly migrants in Spain », 24, 3, 2004, p. 327-351.
[10] Anya Amhed, op.cit.
[11] Katie Wlash et Lena Näre (eds.), Transnational Migration and Home in Older Age, New York, London, Routledge, 2016 ; Hall, Kelly and Hardill, Irene (2016) Retirement migration, the 'other' story: caring for frail elderly British citizens in Spain, Ageing and Society, 36(3), pp. 562-585.