Décennie pour le vieillissement en bonne santé
Comment favoriser la qualité de vie des personnes âgées, revaloriser leur rôle dans la société et modifier la perception de l’âge ? Les recommandations de l’OMS donnent des pistes prometteuses. Elles sont utiles pour la Suisse aussi.
Par Hans Peter Graf, Dr sc. pol., retraité non pratiquant, engagé dans de nombreuses associations d’aîné·e·s genevoises et suisses, Genève
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a programmé de lancer prochainement la Décennie pour le vieillissement en bonne santé 2020-2030 [1]. A mon avis, ce plan pourra servir de levier, afin de tirer la politique de la vieillesse hors du champ focalisé aujourd’hui sur les soins et les sous. En effet, l’OMS avance plusieurs postulats intéressants en vue de créer des conditions-cadres favorables au vieillissement, de changer la perception des personnes âgées, d’améliorer leur qualité de vie et de revaloriser leur rôle dans la société.
Les aptitudes individuelles
Dès l’entrée en matière, elle recommande de «passer d’une conception du vieillissement en bonne santé caractérisée par l’absence de maladie à la promotion des aptitudes fonctionnelles qui permettent aux personnes âgées de faire ce qu’elles apprécient. Des actions visant à améliorer le vieillissement en bonne santé seront nécessaires à de multiples niveaux et dans de multiples secteurs afin de prévenir les maladies, de promouvoir la santé, de maintenir les capacités intrinsèques et de favoriser les aptitudes fonctionnelles». Et l’organisation de rappeler que «les aptitudes fonctionnelles d’un individu sont déterminées par ses capacités intrinsèques (c'est-à-dire l’ensemble de ses capacités physiques et mentales), les environnements dans lesquels il évolue (pris au sens le plus large et incluant les environnements physique, social et politique) et ses interactions avec ceux-ci.»
Le plan détaille quatre domaines d’action. Le premier est ambitieux et novateur puisqu’il demande de «changer notre façon de penser, les sentiments que nous éprouvons et la façon dont nous agissons face à l’âge et au vieillissement. […] Malgré les nombreuses contributions des personnes âgées à la société et leur grande diversité, les attitudes négatives à leur égard sont courantes dans toutes les sociétés et sont rarement remises en question. Les stéréotypes (notre façon de penser), les préjugés (les sentiments que nous éprouvons) et la discrimination (la façon dont nous agissons) à l’encontre de personnes en raison de leur âge (l’âgisme) affectent les personnes de tous âges mais ont des effets particulièrement néfastes sur la santé et le bien-être des personnes âgées. Ces attitudes sont parfois même intériorisées et deviennent de l’âgisme auto-infligé».
L’OMS poursuit en expliquant que l’âgisme « marginalise donc les personnes âgées dans leurs communautés, réduit leur accès aux services, notamment aux soins de santé et services sociaux, et limite l’appréciation et l’utilisation du capital humain et social des populations âgées. […] D’autres activités sont nécessaires pour favoriser une compréhension plus positive et réaliste de l’âge et du vieillissement ainsi que des sociétés qui intègrent davantage les personnes âgées.» Elle précise qu’une décennie de collaboration concertée et durable est nécessaire pour que le vieillissement de la population ne soit plus « un problème à surmonter, mais une opportunité à saisir ».
L’environnement (dé)favorable
Le deuxième domaine d’action concerne les conditions-cadres. Il s’agit de «faire évoluer les communautés de façon à favoriser les capacités des personnes âgées : l’environnement physique, l’environnement social et l’environnement économique […] sont des déterminants importants du vieillissement en bonne santé et influent de manière importante sur l’expérience du vieillissement et les possibilités offertes par celui-ci. Ils naissent de l’élimination des obstacles physiques et sociaux et de la mise en œuvre de politiques, systèmes, services, produits et technologies visant à promouvoir la santé et développer et maintenir les capacités physiques et mentales tout au long de la vie ; et permettre aux individus, même lorsqu’ils perdent leurs capacités, de continuer à réaliser les activités qu’ils apprécient.» Car c’est une évidence encore trop souvent ignorée que de «nombreuses personnes âgées sont confrontées chaque jour à des obstacles qui les empêchent d’être en bonne santé et de participer pleinement à la vie de la société».
Pour sa mise en œuvre, la Décennie encourage les « partenariats collaboratifs multisectoriels et multipartites». Il importe ainsi de réunir tous les acteurs et actrices, publics et privés, et toutes les parties prenantes, y compris «une collaboration étroite avec les personnes âgées elles-mêmes […], car elles sont à la fois les agents indispensables du changement et les bénéficiaires des services».
A ces points novateurs, d’un point de vue thématique aussi bien que des acteurs et actrices à impliquer, le programme de la Décennie ajoute deux domaines d’action plus traditionnels de compensation des déficits liés à l’âge. L’OMS recommande ainsi de «mettre en place des soins intégrés et des services de santé primaires centrés sur la personne qui répondent aux besoins des personnes âgées». Quant au quatrième domaine d’action, il consiste à « offrir aux personnes âgées qui en ont besoin un accès à des soins de longue durée».
Le coup asséné par le Covid
Sur ces deux derniers points, dans nos contrées, énormément a déjà été réalisé. Des avancées supplémentaires sont néanmoins bienvenues et nécessaires. Pensons par exemple à l’accès aux soins dentaires ou le débat relatif à la possible discrimination fondée sur l’âge dans le triage des patient·e·s aux traitements intensifs si les ressources venaient à manquer à cause du Covid.
Mais avant tout, l’expérience de la pandémie et du semi-confinement consécutif illustrent l’urgence de lutter contre l’âgisme, comme prôné dans le premier domaine d’action de la Décennie. La désignation de toutes les «personnes âgées de plus 65 ans», sans distinguer leur état de santé, comme particulièrement vulnérables face au virus leur a asséné un sacré coup de vieux ! Elle a renforcé leur isolement, leur exclusion, voire leur stigmatisation. Cette communication simplificatrice des autorités fédérales a été fortement ressentie par les personnes concernées et dénoncée par leurs associations [2]. Elle a renforcé des stéréotypes âgistes, porteurs d’une vision unilatéralement négative et déficitaire, bien éloignés de l’image et des réalités si différenciées et inégales de la vieillesse telle que la vivent la plupart des personnes avançant en âge aujourd’hui dans notre pays [3].
Or, les perceptions que nous avons de la vieillesse ne sont pas sans importance. Elles ont une influence directe sur ce que la société attend de la vieillesse et sur ce que nous, personnes âgées, pensons pouvoir faire nous-mêmes !
Il nous incombe dès lors de corriger le tir, de combattre l’âgisme en tant que forme de discrimination, hélas plus fréquente et mieux acceptée socialement que le racisme ou le sexisme, afin de favoriser une compréhension plus différenciée des réalités et des représentations du vieillissement d’aujourd’hui.
Ok, M. le conseiller fédéral ?
Tout à fait d’accord, M. Alain Berset, avec vos propos avancés le 17 février 2020, dans votre allocution introductive à la Conférence nationale Santé 2030 «Vieillir en bonne santé : les recettes». Vos constats vont dans le sens des deux premiers domaines d’action prônés par l’OMS : « Beaucoup parmi nous se portent bien en vieillissant. Interrogées sur leur santé, les personnes âgées décrivent leur état comme généralement bon et sans douleur. Même dans le groupe des 83 à 89 ans, deux tiers d'entre elles estiment que leur état de santé est bon à excellent. »
Et le conseiller fédéral de souligner que «nous en savons encore beaucoup trop peu sur ce phénomène encore jeune qu'est le grand âge. Notre âge chronologique en dit peu sur nous. Non seulement au début, dans l'enfance, mais surtout dans la vieillesse. La gamme s'étend ici des personnes encore engagées dans la vie active à celles qui ont un grand besoin de soins. Notre image de la vieillesse est prisonnière des stéréotypes. […] De nombreuses images courantes de l'âge sont le fruit d'hypothèses négatives. Elles supposent que le vieillissement s'accompagne d'une diminution des performances physiques et mentales et signifient une vie dans la dépendance. Cette vision est aussi indifférenciée que celle du vieux bonhomme en pleine forme que la publicité aime nous présenter.» Le ministre a poursuivi en insistant sur le fait que «les personnes âgées ne sont pas seulement un facteur de coût, ni un simple segment de marché lucratif. Elles font partie intégrante de la société et façonnent notre société de nombreuses façons». [4]
Toutes et tous concerné·e·s
On peut ainsi espérer que les autorités aux différents niveaux fédéral, cantonal et communal, le monde associatif, les médias et toutes les générations de la population saisissent l’occasion offerte par la Décennie pour le vieillissement en bonne santé de mettre en œuvre les actions proposées.
Pour réaliser cet objectif, l’OMS souligne que l’information et la prise de conscience sur les réalités du vieillissement seront primordiales. Elles permettront de changer notre perception et notre manière d’agir face à l’âge, qu’il s’agisse de nous-mêmes ou des autres. Elles favoriseront l’apprentissage tout au long de la vie, l’amélioration des connaissances en matière de santé et l’autoprise en charge. S’y ajoute, toujours selon l’OMS, la mise en place de conditions-cadres et d’accès aux systèmes, services, produits et technologies propres à favoriser le maintien et le développement des capacités physiques et mentales, à toutes les étapes et situations de vie.
A mon avis, répondre aux défis et saisir les opportunités de la longévité en bonne santé ne saurait rester seulement l'affaire des Départements en charge des affaires sociales et de la santé [5]. La réponse doit aussi impliquer tous les départements et milieux concernés, les fournisseurs de biens et services pertinents, tels que les chaînes de supermarchés, les pharmacien·nes, les boulanger·ères, les coiffeur·ses, les architectes, les promoteur·trices immobiliers, les urbanistes, les entreprises de transports et taxis, les institutions culturelles, les communautés religieuses, les assureurs, etc.
[1] Décennie pour le vieillissement en bonne santé, 2020-2030 [Final proposal], Genève : OMS, avril 2020, 31 p. Extraits résumés sur 4 pages, en format pdf
[2] Lire notamment :
- Marion Repetti, «L’âgisme dans la lutte contre le coronavirus», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 4 mai 2020.
- Âgisme et discrimination : «Les retraités ont vraiment un sentiment d’injustice», interview du professeur Christian Maggiori, responsables de deux études sur le sujet, en ligne.
- La lettre ouverte du Conseil suisse des aînés, en ligne
[3] Voir les récentes études sur le vieillissement, par exemple les données publiées par le PNR LIVES, ou Age Report IV. Voir aussi l’étude de l’Université de Genève «Vivre, Leben, Vivere», ou en résumé
[4] Texte de l'allocution en ligne. Citation dans l'article traduite par H.P. Graf.
[5] Lire aussi : Hans Peter Graf, «Alternatives politiques face au vieillissement», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 6 juin 2019.
A Genève, la FAAG, l’AVIVO, le Mouvement populaire des familles et Pro Senectute Genève, avec le soutien de la PLATEFORME des associations d’aînés de Genève, organiseront une table ronde «Décennie OMS Vieillissement en bonne santé 2020-2030 : quelles propositions pour Genève ?» Reportée à cause du Covid au printemps 2021, elle réunira les différents acteurs genevois, politiques, économiques (y compris milieux immobiliers) et sociaux à impliquer, afin de voir comment mettre en œuvre ses objectifs. Présentation
Votre avis nous intéresse
Comment citer cet article ?
Hans Peter Graf, «Une décennie pour le vieillissement en bonne santé», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 8 octobre 2020, https://www.reiso.org/document/6473