L’engagement des seniors: un plus pour le pays
Les seniors disposent désormais de belles années devant eux pour contribuer à la vie en société. Entre autodétermination, injonction et nécessité, comment envisager leur participation et leur engagement social ?
Par Karine Tassin, responsable formation et accompagnement à Pro Senectute Vaud
A l’ère de la précarisation du travail et des retraites, quelle place donner à l’engagement des citoyens plus âgés dans notre société ? Faut-il, comme le laissent entendre certains, conquérir ce marché de la « main-d’œuvre gratuite » ou laisser à cette nouvelle génération de seniors, le soin d’imaginer des formes de participation originales et créatives à même de répondre aux besoins des plus vulnérables ? Car si la question de l’engagement se pose tout au long de la vie, comment (re)-considérer celle de sa participation au moment de la retraite ?
Face aux nombreux enjeux socio-économiques liés à l’augmentation du nombre de personnes âgées et de l’espérance de vie, les milieux tant politiques qu’économiques sonnent l’alarme. De l’envie du senior à participer en toute liberté à la société à sa possible instrumentalisation, il n’y a qu’un pas. Une frontière fragile à ne pas franchir sous peine d’une levée de boucliers des baby-boomers qui pourraient bien reprendre du service. Car si l’engagement et la participation sociale des seniors constitue une clé du bien vieillir, elle n’est pas la seule. Quand bien même la question se pose et se doit de l’être, l’autodétermination se définit aussi par son droit à choisir librement son envie de s’engager ou pas, d’être un « bon ou un mauvais citoyen ». Un acte éminemment individuel qui, dans le contexte actuel, pose une série de questions tant socio-sanitaire qu’économique et politique.
Apprivoiser un nouvel espace-temps
Comment, dès lors, aborder cette question de la participation au moment de la retraite ? Si le passage à la retraite implique une multitude de changements tant financiers, identitaires, socio-culturels que spatio-temporels, il est aussi l’occasion de réaménager sa vie, d’opérer des choix et de mettre en place des projets qui font réellement sens. Encore faut-il que le départ à la retraite se passe dans de bonnes conditions. Une période de chômage mal vécue, un licenciement ou une fin de collaboration difficile peuvent péjorer de façon durable les premiers mois, voire les premières années de retraite et influer tant sur la santé de la personne que sur son envie de participer à cette société.
Pour de plus en plus de personnes, cependant, la retraite représente un moment attendu qui a pu être préparé et planifié financièrement (pour les plus chanceux !). Les premières semaines, voire les premiers mois s’apparentent souvent à une période de « lune de miel » qui laisse parfois place à un vide important face aux journées à remplir, aux relations à activer, au pouvoir d’achat qui en prend un coup et à l’énergie parfois plus fluctuante. L’inverse est aussi possible avec un agenda qui ne désemplit pas, des activités en tous genres, y compris la poursuite d’une activité indépendante, les petits-enfants à garder et les voyages à organiser.
Un temps est, sans aucun doute, nécessaire pour apprivoiser ce nouvel espace-temps et réfléchir à ce qui est vraiment important pour soi. Sans oublier qu’avec l’âge, la santé peut nous jouer des tours et empiéter considérablement sur le quotidien. On le voit, l’avancée en âge n’a rien d’un long fleuve tranquille. Elle revêt de multiples formes. Et l’engagement citoyen, qu’il soit bénévole ou communautaire, n’est aujourd’hui que le reflet de cette diversité des seniors qui, arrivés à la retraite, souhaitent une offre à même de s’inscrire dans leur trajectoire de vie et de répondre à leur désir.
L’Observatoire du bénévolat suisse (enquête 2016 )[1] montre, à cet égard, que le bénévolat organisé est en légère baisse au profit, aurions-nous envie d’ajouter, d’autres formes d’engagement, plus localisées ou d’un nouveau type.
Une mosaïque d’engagements multiformes
Ainsi, si certaines personnes souhaitent s’investir dans leur quartier ou leur communauté, d’autres, au contraire, vont préférer apporter leur soutien aux plus vulnérables, par le biais d’associations ou encore agir dans l’ombre, en choisissant des formes moins visibles. De l’entraide aux solidarités, les logiques s’opposent, se superposent et se complètent pour former une mosaïque d’engagements multiformes : « L’engagement bénévole, écrit Stéphanie Vermeersch [2], est à la conjonction entre un processus d’épanouissement personnel et un désir de participation sociale. » Certains vont y trouver une nouvelle identité, un rôle, des relations, une estime de soi, un regain de confiance portés par la reconnaissance de leurs pairs ou de l’association dans laquelle ils sont engagés.
Ce désir de réalisation personnelle est en soi plutôt « sain », car il permet de rééquilibrer une relation souvent asymétrique entre aidant et aidé et de favoriser une meilleure circulation et réciprocité entre les personnes. Car, la motivation, même si beaucoup s’en défendent, repose aussi sur des fondements « égoïstes » qui trouvent leur origine dans une histoire personnelle, des valeurs et un environnement propres à chacun. La capacité à identifier pour soi les moteurs de son action est essentielle et devrait être posée en amont de tout engagement.
Citons le cas d’une personne qui, arrivée à la retraite et jusqu’alors peu investie dans son quartier, a envie de nouer de nouveaux contacts. Elle apprend qu’un comité d’habitants se réunit régulièrement tout près de chez elle. Elle se rend une première fois à une rencontre où les habitants parlent des projets qu’ils sont en train de mettre en place. L’ambiance est chaleureuse, elle reste boire un verre à la fin de la séance et en rentrant chez elle, se dit qu’elle pourrait bien, avec ses compétences de logisticien, donner un coup de main pour la prochaine fête de quartier. Et la voilà embarquée dans une histoire qui va durer plus de cinq ans. D’un intérêt, au premier abord, très personnel est née l’envie de « faire ensemble » puis de contribuer, au fil des mois et des années, à améliorer la qualité de vie de son quartier. Cet élan spontané a été le déclencheur d’une action collective et qui lui a permis, corollairement, de se faire de nouveaux amis. En choisissant l’ouverture plutôt que le repli, l’action tournée vers les autres plutôt que la solitude, elle a donné du sens et de l’utilité à sa vie.
Bon pour la santé !
Comme de nombreuses études [3] l’ont révélé, « rester actif et engagé » dans sa collectivité a incontestablement des effets positifs sur le bien-être physique, social et émotionnel des personnes. Les seniors qui font du bénévolat sont moins souvent aux prises avec une maladie liée au stress, ont une meilleure estime de soi et sont moins susceptibles de se sentir isolés. Comme quoi, s’engager est bon pour la santé !
La question se pose, dès lors, de savoir comment, dans ce nouveau contexte en pleine mutation, les associations doivent se réinventer et créer des formes d’engagement à même de susciter l’engouement sans pour autant perdre de vue les bénéficiaires. Comment sortir des carcans classiques pour offrir des modes d’engagement qui permettent de faire coïncider les besoins des personnes plus vulnérables avec les besoins des bénévoles qui souhaitent s’investir sur des temps parfois très courts ou de façon plus ponctuelle. Comment dans le cadre d’une institution telle que Pro Senectute Vaud faire évoluer nos pratiques et donner une place plus importante à la participation des seniors dans les institutions ?
Des éléments de réponse émergent de la part des associations comme des seniors eux-mêmes. Des initiatives individuelles comme des « Comités seniors » sont mis en place avec la collaboration des communes et bénéficient du soutien de l’association. Comment aussi mieux accompagner les seniors dans leur projet et les orienter dans leurs démarches ? Les besoins de ces nouveaux seniors sont encore insuffisamment identifiés. Le développement d’espaces de formation est également à creuser pour que l’adulte âgé continue à maintenir et développer ses compétences, bien au-delà de l’âge la retraite.
Revenons, enfin, à la question de départ qui nous préoccupe, celle du droit ou du devoir citoyen ? A cet égard, l’expérience menée dans le canton de Vaud avec les curatelles (des habitants étaient nommés d’office sans consentement préalable), a montré les limites d’un tel système. La pression ou l’injonction faite auprès des citoyens pour qu’ils s’engagent portent en elles les germes d’une « culpabilité » qui pourrait bien se retourner contre le système ou les personnes elles-mêmes. A vouloir « contraindre » les gens, on finit par produire un effet inverse à celui désiré : une résistance à toute forme d’adhésion, aussi louable soit-elle.
Les mesures incitatives
Il existe, par contre, toute une série de mesures incitatives à même de soutenir les associations comme les individus qui, à travers leur activité, recherchent une forme d’accomplissement. A commencer par des avantages au niveau fiscal qui permettraient de réduire la charge de nombreuses personnes retraitées. Ainsi, toute personne produisant un document (dont les modalités et les critères restent à définir) serait autorisée à déduire un montant dans sa déclaration d’impôt. A envisager également la mise en place d’un passeport-citoyen qui donnerait accès à une série d’offres, dont notamment des formations ou des accès privilégiés à certains services. Ou pourquoi pas, à l’instar d’autres initiatives comme celle mise en place à Genève d’une « Chambre contre coups de main "1h par m2" », ne pas imaginer des échanges de service, basés sur la solidarité intergénérationnelle. Dans le cas des personnes avançant en âge, les solutions sont à chercher dans la proximité de leur habitation, une « géographie à petite échelle » qui implique une mise en réseau que la communication digitale pourrait hautement faciliter. Favoriser une circularité entre « donner et recevoir » est sans aucun doute la clé d’un mieux vivre et d’une meilleure qualité de vie pour tous. Nombre de mesures incitatives peuvent être mises en place à différents niveaux (Confédération, canton, communes, monde associatif).
Au final, toutes les personnes, jeunes et moins jeunes, engagées dans cette société ne sont-elles pas le meilleur rempart contre le chacun pour soi, ne sont-elles pas les meilleurs exemples pour donner envie aux autres de mettre la main à la pâte ? Juste une fois. Elles pourraient y prendre goût.
[1] Résumé de 8 pages en format pdf
[2] Tiré de « Engagement bénévole et développement du pouvoir d’agir », Saskia Weber Guisan, Université de Genève, 2018, p.76
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Karine Tassin, «L’engagement des seniors: un plus pour le pays», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 21 mars 2019, https://www.reiso.org/document/4221