Un incubateur d’idées pour l’action sociale
Comment l’action sociale travaille-t-elle pour une société plus juste ? Comment décloisonner les services et les institutions ? Une association fribourgeoise se mobilise pour trouver des pistes et favoriser les échanges.
Par Claude Blanc, président de Trait d’union, Fribourg, et Kathrin Gabriel Hofmann, membre du comité
Des professionnel-le-s de l’action sociale se sont mis ensemble pour réfléchir à leur travail. Ils partagent une même conviction : la défense des intérêts des plus démuni-e-s et la promotion de bonnes collaborations interprofessionnelles et interinstitutionnelles est nécessaire à une société plus juste. Il y a dix ans, ils ont créé l’Association fribourgeoise pour la promotion de l’action sociale, Trait d’union. Leurs objectifs ? Décloisonner les services et permettre aux collaborateur·trice·s de mieux se connaître ; favoriser les échanges autour des problématiques rencontrées au quotidien. Depuis 2006, l’association a ainsi organisé de nombreuses visites d’institutions, des conférences, des tables rondes et des réponses à des avant-projets de loi. Elle répond à un besoin puisqu’elle compte aujourd’hui plus de 130 membres qui interviennent auprès de 50 services, institutions, associations et fondations du canton de Fribourg.
À l’occasion d’une journée de mobilisation de ses membres au centre-ville de Fribourg, un micro-trottoir a donné la parole à la population pour explorer le lien établi dans le public entre économie et social. Comment sortir de l’idée que le/la travailleur-euse social-e serait l’expert-e de ce que devrait être ce lien avec le social et, à l’inverse, l’entrepreneur-e l’expert-e du lien avec l’économie ? Trait d’union a défendu une logique de complémentarité entre ces deux secteurs. Sur le thème des entreprises sociales, les interviews [1] réalisées ont réuni les réactions du public fribourgeois comme autant de possibilités de promouvoir une économie différente, faisant une réelle place à l’humain.
Le contexte socio-politique
Différents espaces d’échange ont permis d’identifier durant la journée les luttes communes à ces deux secteurs. Un détour par l’histoire d’Alfred Bochud [2] (1847-1919), instituteur du canton de Fribourg, a rappelé comment il s’est insurgé contre le travail de nuit des enfants et a été contraint à la démission. Ce parcours a mis en exergue l’importance du contexte socio-politique dans le rapport de force qui a tendance à opposer social et économie.
Autre détour, dans le présent, avec la présentation du Programme interservices de travail social communautaire [3] mis en place depuis 2012 par la commune de Marly. Cette initiative originale articule un projet social, économique et politique. L’engagement par la commune de personnes à risque de tomber durablement à l’assistance participe non seulement à leur réinsertion économique, sociale et professionnelle, mais aussi à l’amélioration de l’environnement de la cité et de l’image des bénéficiaires de l’aide sociale. L’engagement de ces améliorateurs d’environnement, en fonction de leurs compétences et des besoins de la cité, redonne une réelle marge de manœuvre aux bénéficiaires, mais également au travailleur social qui, pour le coup, fonctionne comme agent de placement, soucieux du bien-être de l’humain et de la communauté.
A l’occasion de cette journée et à la veille des élections cantonales, le rôle du politique dans la promotion d’une économie sociale et solidaire a également été interrogé. Une table ronde a réuni des acteurs-trices du social, des acteurs-trices spécifiques du champ de l’insertion et des représentant-e-s des principaux partis politiques du canton. Elle a permis de pointer les conditions cadres nécessaires pour développer les synergies entre économie et social et ce au service du développement d’une société plus juste, notamment une organisation professionnelle au service du développement personnel, prenant en compte les rythmes de travail de chacun et proposant une insertion durable et sécure.
Pour approfondir cette réflexion, Sophie Swaton [4], maître d’enseignement et de recherche, a précisé que l’économie sociale représente 10% des emplois dans toute l’Europe. Favorable au principe d’entreprises sociales de type démocratique, elle a tenu à mettre en garde contre les dérives d’un certain « charity business ». Elle a défendu les principes d’autonomie, de libre adhésion, d’activités réelles comme condition sine qua non d’un développement serein de ces entreprises au service de l’humain.
Et sur le terrain ? Martine Charbon et Raphaël Gerber, assistant·e·s social·e·s, se sont inquiétés de l’impact de certaines mesures d’insertion promues par les services sociaux. Ils ont plaidé pour la diversification des offres, la capacité des entreprises à s’adapter aux besoins de la personne et la mise en place de réels suivis en deçà de la mesure. Face à la réalité grandissante des « working poor », ils ont mis en avant le principe d’un salaire minimum permettant à chacun de vivre dans la dignité. Patrick Bossy, responsable de site à Villars-sur-Glâne pour l’association Ritec [5], ont de leur côté montré l’importance de casser les préjugés quant aux potentiels des personnes qu’elles rencontrent dans leurs entreprises respectives. Il s’agit de valoriser chacun-e dans son travail, de dépasser certaines peurs, en proposant aux personnes un cadre favorable pour reprendre pied dans la vie.
Le débat dans la cité
Les présidents de partis et de groupes au Grand Conseil des principales tendances politiques du canton ont eu l’opportunité de présenter leur point de vue et répondre aux interpellations de la population fribourgeoise quant au rôle du politique. Un sondage réalisé en parallèle du micro-trottoir proposait plusieurs pistes : bâtir des ponts entre le monde économique et social par la promotion de politiques d’activation de l’économie sociale, mais aussi par la promotion de politiques incluantes au sein des entreprises « traditionnelles » ; sensibiliser les entreprises aux coûts humains de certaines de leurs décisions et à leur responsabilité en termes de cohésion sociale. Si les acteurs politiques ont été sensibles à ces propositions, l’affirmation d’un positionnement uni quant aux mesures à prendre pour favoriser les ponts entre économie et social reste encore difficile. Le principe du salaire minimum déjà évoqué au niveau fribourgeois semble continuer de diviser les partis. Enfin, des solutions d’allègements fiscaux pour les entreprises dites sociales ont été retenues.
Cette journée de mobilisation et la qualité des échanges avec la population fribourgeoise ont démontré l’importance pour les acteurs du social d’amener le débat au sein de la cité et d’encourager des réflexions décloisonnées et riches.
Dans un contexte de restrictions budgétaires, de rationalisation, de spécialisation des domaines, de quantification des résultats, le travail social est mis à mal. La multiplication des formations, l’engagement de personnel administratif et l’arrivée de nouveaux profils d’intervenants viennent questionner le sens accordé à la profession. Cherchant constamment des solutions sur mesure avec engagement et créativité, quel sens les travailleurs sociaux peuvent-ils donner à leurs interventions dans un tel contexte socio-économique ? La réflexion est lancée.
Conférences et ateliers le 2 décembre
Le dixième anniversaire de l’association se termine en décembre 2016 avec une matinée consacrée au travail social contemporain [6].
Pour alimenter les débats et la réflexion, Stéphane Rossini, professeur et consultant, ancien membre du Conseil national et vice-président du Parti socialiste suisse, présentera son regard sur l’évolution du contexte de la politique sociale suisse et son avenir.
Xavier Bouchereau, chef de service en action éducative intensive en milieu familial, consultant dans la région de Nantes en France, auteur de plusieurs ouvrages et articles sur le sens de l’engagement professionnel et sur le travail éducatif auprès des populations précarisées, abordera la question du sens des interventions des professionnels.
Différents ateliers permettront enfin aux participants d’évoquer leur réalité professionnelle et de penser les liens et la complexité du social en dépassant une vision parfois dichotomique entre les professionnels et les autres.
Pour Trait d’union, ces échanges seront autant de pistes pour tracer les grands thèmes de l’association durant les dix prochaines années.
[1] Le micro-trottoir réalisé par Trait d’union et l’équipe de Dockmobile est visible en ligne
[2] Société d’histoire du canton de Fribourg (2016) Fribourgeois. Un dictionnaire des anonymes, des inconnus, des oubliés 1840-2015.
[3] Plus d’informations sur le PITSC en ligne
[4] Swaton.S, (2011) Une entreprise sociale peut-elle être « sociale » dans une économie de marché ? Les Editions de l’hèbe, Charmey
[5] Plus d’informations sur RITEC en ligne], entreprise sociale active dans l’insertion, et Martine Fauché, responsable et coopératrice de la Crêperie Sucrésalé [[Plus d’informations sur la Crêperie Sucrésalé en ligne
[6] Vendredi 2 décembre 2016 en matinée, au Quadrant à Fribourg, sur le thème : « Quel trait d’union pour le travail social contemporain ? » Programme et inscription en ligne sur le site de Trait d’union