Quand les problèmes sociaux fragilisent la santé
Les habitant·e·s en souci avec les assurances, le travail, la famille, le logement ou la maladie sont accueilli·e·s au guichet « Fribourg pour tous ». Quelle place la santé a-t-elle dans cette permanence sociale ?
Par Jacqueline Gremaud Neri et Kathrin Gabriel-Hofmann, assistantes sociales, Fribourg pour tous
Le service d’information et d’orientation sociales du canton de Fribourg a ouvert en septembre 2011. Dans ce lieu convivial au cœur de la ville baptisé « Fribourg pour tous », notre équipe assure la permanence tous les jours de la semaine. Notre mission consiste à assurer un accès facile, équitable et neutre à des informations personnalisées sur les dispositifs d’action sociale, les services professionnels d’aide, les associations et les centres spécialisés les plus appropriés. Ce qui rend notre permanence particulière tient probablement au fait que nous assurons une totale confidentialité aux personnes qui viennent nous trouver, nous téléphonent ou nous envoient des courriels. Elles sont reçues sans délai, n’ont aucun formulaire à remplir ou coordonnées à donner. De plus, nous n’exigeons aucun engagement de leur part : cette attitude les met en confiance et assure une grande spontanéité dans les échanges. Notre rôle consiste à les informer et à les orienter dans une visée préventive afin d’éviter la détérioration de situations sociales. Nous ne nous immisçons pas dans les démarches entreprises par la suite.
Les problèmes que nous rencontrons sont de natures extrêmement variées. Nous les avons regroupés par thème : 39% des consultations concernent le domaine social, 23% le travail, 20% la famille, 10% la santé (maladie, accident et invalidité) et 8% l’intégration [1]. La santé au sens strict ne représente donc qu’un dixième des entretiens. Mais la santé au sens plus large est en jeu pour de nombreux interlocuteur·trice·s. Dans les parcours de divorce, d’endettement, de licenciement, lors de sanctions administratives, de poursuites, de menaces d’expulsion du logement, d’obstacles d’intégration, nous constatons que ces difficultés altèrent souvent la santé, et parfois lourdement.
Rassurer et parfois dédramatiser
Notre permanence sert parfois simplement à rassurer des personnes. Prenons l’exemple de Marco [2], un trentenaire qui voulait recourir à la justice pour une affaire de logement. Il nous a d’abord demandé des informations très techniques que nous lui avons données. Puis il a pris confiance et nous a expliqué son angoisse de se voir subitement happé par une machine judiciaire qu’il ne maîtriserait pas. Risquerait-il d’être expulsé de son logement ? Nous lui avons expliqué les conséquences concrètes et précises de la démarche qu’il envisageait et il a ensuite eu les éléments en main pour décider de franchir, ou non, le pas pour défendre ses droits. D’autres visiteurs ont le même genre de questionnement : « Ai-je vraiment le droit d’activer tel service ? » « Est-ce que je risque de subir des conséquences inattendues ? » « Est-ce que je vais trop loin ? » Nous ne décidons pas à leur place, mais nous leur donnons les renseignements précis sur les conséquences.
Nos informations permettent aussi de « dédramatiser » des situations. Cela s’est passé pour Maria, une quadragénaire latino-américaine. Elle était persuadée qu’elle était discriminée par le tarif de son assurance maladie de base et par les démarches administratives nécessaires pour obtenir le subside cantonal. Quand elle a été informée que les prix et les formulaires étaient exactement les mêmes pour les Suisses, elle a été d’une certaine façon soulagée. Elle qui s’appliquait et mettait beaucoup d’énergie à s’intégrer et à apprendre le français, elle a été réconfortée de savoir que cette histoire d’assurance maladie n’était pas une injustice envers elle et son statut de migrante.
L’expérience de Julien, un jeune à l’aide sociale, est un peu différente. Il venait de recevoir une sanction administrative et était réellement effondré quand il est arrivé chez nous. Nous avons pu l’écouter puis nous avons pris des renseignements avec son accord pour mieux comprendre sa situation qu’il avait quelque peine à nous expliquer tant il était mal dans sa peau. Le contact avec son conseiller a éclairci certains aspects et, même si nous n’avons pas de rôle de médiation, cette collaboration interinstitutionnelle a été utile et a permis de clarifier la situation.
Nos statistiques montrent que nous voyons légèrement plus d’employé·e·s que de personnes à la recherche d’un emploi (pas forcément inscrites dans les Offices régionaux de placement). A noter aussi que nos consultations comptent autant d’hommes que de femmes et plus de Suisses que d’étrangers. La tranche des 20-50 ans est la plus représentée, mais les retraités sont aussi concernés. Comme Henri, un retraité d’origine française qui a travaillé en Suisse pendant 15 ans et est désormais à l’AVS. Lorsque son diabète a été diagnostiqué, il s’est rendu compte qu’il n’était plus couvert par la Sécurité sociale française à laquelle il avait été affilié très longtemps. Et il n’avait pas d’assurance maladie en Suisse ! Nous l’avons alors informé sur les assurances les plus avantageuses pour lui et l’avons orienté vers Pro Senectute qui a pu lui apporter le suivi dont il avait besoin.
Les soins dentaires et les troubles psychiques
Il y a l’écoute active mais également la reconnaissance des problèmes des personnes qui s’adressent à nous. Plus précisément la reconnaissance de ce qu’ils sont et de ce qu’ils vivent. C’est important en particulier dans le champ des addictions et des proches qui viennent nous demander de les « aider à aider ». Nous fournissons alors une écoute attentive, bienveillante, et des informations sur le tissu associatif et institutionnel à disposition dans la région. L’écoute désamorce aussi les colères ou les frustrations. En ce sens, l’épisode vécu par Marguerite nous a marqué. Cette vieille dame a dû subir un traitement dentaire très coûteux. Devant ces frais « astronomiques », elle a décidé de renoncer à son assurance complémentaire pour chambre privée. Elle avait payé cette assurance depuis quarante ans et se sentait subitement démunie. Elle a été un peu rassérénée de partager cette expérience, d’être écoutée et de recevoir quelques pistes sur les structures destinées aux aîné·e·s.
Le coût des soins dentaires inquiète les personnes en difficulté financière. Nous les informons de l’existence de prestations dentaires effectuées par des étudiants en formation dans des cliniques universitaires qui appliquent des tarifs plus avantageux mais dont le traitement peut se prolonger sur plusieurs mois. Nous rappelons aussi que les dentistes peuvent répartir les paiements sur plusieurs trimestres. Mais il faut bien reconnaître que nous ne pouvons pas faire beaucoup plus alors même qu’une partie du public renonce parfois à des soins ou les repoussent et que cela peut avoir des répercussions dangereuses sur leur santé.
Lors des entretiens dans nos locaux, les états de stress sont fréquents ; la fatigue, la colère, le découragement sont aussi très présents. Plus rarement, nous sommes confrontés à des épuisements parce que la personne se trouve dans une situation complexe qui lui semble inextricable. C’est ce que vit Jean-François, par exemple, en arrêt maladie, avec deux adolescents turbulents. Il espère beaucoup reprendre son job, mais sa santé est si mauvaise que l’Assurance invalidité lui a fait remplir des formulaires et il craint beaucoup de « finir à l’AI ». Précisons que l’image de l’AI n’est pas très bonne auprès de notre public. Les gens craignent cette assurance et, souvent, ne connaissent pas les mesures de reconversion, les formations qui sont proposées dans ce cadre. Nous leur expliquons alors que l’AI « ne se résume pas » à une rente, donnons des informations générales sur cette assurance et orientons au besoin vers l’Office AI.
Le parcours de vie d’Hélène est aussi révélateur de cette crainte de l’AI. Elle travaille dans les soins aux aînés depuis plus de trente ans mais des douleurs articulaires, un contexte professionnel de plus en plus difficile et de fortes tensions dans l’équipe ont altéré sa santé. Son médecin lui a fait un certificat maladie à 50%. Mais cette baisse de travail a encore accentué les difficultés relationnelles dans l’équipe. Puis, pour des raisons de restructuration, elle a reçu son congé. Face à ce délai, des choix s’imposaient pour elle. Son médecin préconisait un arrêt de travail à 100% et lui a parlé de rente AI, mais elle n’adhérait pas à cette solution espérant trouver une alternative à sa situation. Au fond, elle souhaitait se reconvertir dans un autre domaine, par exemple dans la petite enfance. Nous l’avons écoutée et lui avons donné diverses pistes pour avancer. Retournera-t-elle chez son médecin pour revoir avec lui son état de santé ? Contactera-t-elle l’AI ou un service de réorientation ? Nous ne le saurons probablement pas. A noter que certains visiteurs reviennent parfois pour nous dire bonjour et nous expliquer où ils et elles en sont dans leurs démarches.
Malgré les impasses, l’écoute active
Nous sommes aussi parfois confrontés à des symptômes de troubles psychiques. Des adultes se sentent harcelés ou poursuivis par des polices étrangères ou des truands. Les harcèlements existent et nous sommes prudents, mais les troubles sont parfois inquiétants. Nous avons aussi vu des personnes avec des maladies psychiques. Lorsque le trouble est reconnu et qu’une aide spécifique est demandée, nous pouvons alors faire le lien avec le Réseau fribourgeois de santé mentale. Lorsque nous repérons un déni du trouble, et sauf urgence médicale, nous nous attachons à écouter, à donner des pistes, notamment celle d’en parler à son médecin traitant.
Finalement, la majorité des interlocuteur·trice·s qui viennent ont des questions techniques qui sont résolues assez rapidement. D’ailleurs, la plus grande partie des entretiens durent une quinzaine de minutes, voire une demi-heure. Mais nous voyons aussi des situations vraiment douloureuses : des personnes en grande souffrance, qui ont parfois galéré pendant des années, des migrants qui arrivent au bout des voies de recours possibles, des hommes et des femmes qui survivent en marge de la société avec des problèmes multiples. Là, nous nous sentons parfois dans l’impasse. Mais même dans ces moments qui pourraient paraître désespérés, il nous semble que l’écoute bienveillante est utile car la personne est reconnue dans ses difficultés et repart en général avec des pistes pour résoudre son problème.
[1] Ces chiffres concernent l’année 2013.
[2] Prénoms et profils modifiés afin que personne ne puisse se reconnaître.