La politique interculturelle à l’échelle cantonale
Pionnier suisse de la scolarisation des enfants sans statut légal, premier délégué aux étrangers cantonal du pays, novateur dans sa loi sur l’intégration… L’Etat de Neuchâtel a pensé l’inclusion sur un mode citoyen et interculturel.
Par Céline Maye, cheffe du service de la cohésion multiculturelle, Etat de Neuchâtel
Pour relever le défi de la gestion de la diversité, l’Etat neuchâtelois a choisi une approche citoyenne et interculturelle[1]. L’intégration n’est pas une finalité en soi mais un moyen d’assurer la cohésion sociale, l’égale dignité et la non-discrimination. Neuchâtel définit l’intégration comme un processus de rapprochement mutuel impliquant toute la population, personnes suisses, migrantes, étrangères ou encore issues des migrations. Il favorise le dialogue vertical (entre autorités et collectivités) et horizontal (entre population migrante et personne vivant sur le territoire depuis longtemps) pour répondre à des besoins spécifiques tout en destinant les mesures à l’ensemble de sa population. Sur ce thème, le canton est d’ailleurs considéré comme pionnier, inclusif et libéral[2].
Cette politique s’est construite tout au long des dernières décennies, avec des ancrages institutionnel et légal forts (premier délégué aux étrangers d’un canton en 1990, commission extraparlementaire depuis 1991, loi sur l’intégration et la cohésion multiculturelle depuis 1996). Voici quelques-uns des principes qui guident la gestion de la diversité dans le canton de Neuchâtel depuis plus de 30 ans.
La reconnaissance publique des avantages de la diversité
Le gouvernement neuchâtelois a régulièrement démontré qu’il tenait un discours clair et fort afin de valoriser les avantages de la diversité et le principe de la non-discrimination, que ce soit dans ses prises de position, ses rapports ou ses prises de position.
Le canton a par ailleurs été le premier de Suisse à scolariser, en 1990 et contre l’avis des autorités fédérales, tous les enfants sans statut légal. Autre preuve d’inclusion des autorités neuchâteloises, la décision du département en charge de l’instruction publique, en 1998, confirmée par un arrêt du Tribunal administratif en 1999, d’autoriser le port du foulard à l’école par les élèves.
Le Conseil d’Etat s’investit aussi en remettant annuellement depuis plus de vingt ans le prix «Salut l’étranger-ère!» aux personnes ayant contribué à la cohésion multiculturelle ou encore en présidant la cérémonie d’accueil des personnes nouvellement naturalisées dans le canton, cérémonie ponctuée d’un discours positif sur l’apport de la migration à la société neuchâteloise. Enfin, les membres de l’exécutif n’hésitent pas à s’impliquer dans les activités auprès des collectivités migrantes et à ouvrir les espaces symboliques de l’Etat à leurs activités, promouvant les échanges et octroyant une forme de reconnaissance à la diversité de sa population.
La citoyenneté
Dès le début, le canton a pratiqué une politique des petits pas, avec la résolution de problèmes concrets et la mise en œuvre de mesures favorisant la connaissance mutuelle. L’importance de la notion de citoyenneté, inclusive, est aussi à souligner. Etre citoyen, à Neuchâtel, c’est aussi pouvoir choisir ses représentant-e-s et participer au processus décisionnel. Neuchâtel, qui a octroyé le droit de vote aux ressortissant-e-s étranger-ère-s en 1849 déjà, est aujourd’hui encore le canton suisse qui octroie les droits civiques les plus étendus aux personnes étrangères (droit de vote et d’éligibilité au niveau communal, droit de vote au niveau cantonal). Il s’agit d’un acte collectif d’inclusion à l’égard des personnes venues d’ailleurs, qui contribue au sentiment positif ressenti par les migrant-e-s résidant à Neuchâtel vis-à-vis du canton.
L’existence de ce droit est notamment rappelée dans la Charte de la citoyenneté[3], distribuée depuis 2009 à l’ensemble des personnes qui arrivent dans le canton. Ce document présente les valeurs et les principes fondamentaux qui sous-tendent la société dans laquelle elles s’installent. La démocratie, le libéralisme, la laïcité et le caractère social de l’Etat y sont explicités par des exemples concrets, en lien avec la migration et l’interculturalité.
La laïcité
Telle que conçue à Neuchâtel, la laïcité permet à l’Etat de reconnaître, d’accorder une place et de traiter les communautés religieuses avec un même respect. L’Etat intègre les expressions de la liberté religieuse et veille à la paix confessionnelle et au respect de la pluralité religieuse.
La neutralité de l’Etat envers les religions implique que celui-ci ne s’identifie à aucune religion spécifique et ne s’ingère pas dans les affaires internes des Eglises et des communautés religieuses. Si l’Etat voue une attention particulière à certaines institutions religieuses pour des raisons historiques et sociales, il ne doit cependant pas discriminer les autres. Cette conception inclusive de la laïcité permet aussi de valoriser les multiples appartenances, y compris religieuses, des Neuchâteloises et des Neuchâtelois.
Une culture d’accueil
S’appuyant sur le constat que le sentiment d’être accueilli avec bienveillance est le premier pas vers une intégration réussie pour toute personne – qu’elle soit suisse ou étrangère – qui s’installe dans un nouvel environnement, Neuchâtel a mis en place depuis le début des années 2000 un dispositif qui permet d’institutionnaliser l’accueil en donnant un signal clair de bienvenue à l’ensemble des personnes nouvellement arrivées, qu’elles viennent d’une autre commune, d’un autre canton ou d’un autre pays.
Les personnes nouvellement arrivées sont informées de leurs droits et leurs obligations, des possibilités d’apprentissage et de formation, du statut de séjour ou encore des possibilités pour pleinement participer à la vie économique, culturelle, civique et sociale de la région dans laquelle elles s’installent. Différentes mesures ont été mises en place dans les communes, de la remise de documents et informations utiles au moment de l’inscription à l’envoi de courriers de bienvenue ou à l’organisation de soirées d’accueil par les autorités. De plus, en parallèle aux cours de français soutenus par le canton et la Confédération, un programme d’intégration et de connaissances civiques permet aux personnes migrantes de se familiariser avec le contexte de vie helvético-neuchâtelois lié à la pratique du français dans les situations quotidiennes courantes.
Il est important de souligner que ces actions sont destinées à l’ensemble de la population. L’accueil s’adresse à toute personne (en provenance d’un autre canton ou d’un autre pays) tout en prévoyant des dispositifs particuliers pour les personnes allophones.
L’autre caractéristique des mesures neuchâteloises est de privilégier la participation volontaire sur le principe : encourager et ne pas contraindre. Chaque personne nouvellement arrivée doit pouvoir être informée et le canton propose des entretiens de primo-information, avec traduction si nécessaire, destinés spécifiquement aux personnes ayant des besoins particuliers.
La consultation et la médiation
La pleine participation de chacune et chacun à la vie neuchâteloise est fondée sur un système de réciprocité. Les personnes durablement établies se voient octroyer des droits, notamment civiques, tandis que les collectivités sont invitées à participer et à s’impliquer dans les structures d’échanges, notamment au sein de la Communauté pour l’intégration et la cohésion multiculturelle (CICM), dont un tiers des membres sont issu-e-s des migrations ou d’autres espaces de dialogue, où il est possible de relayer les problématiques rencontrées et de mettre en place des mesures spécifiques. Ceux-ci sont liés aux flux migratoires ou à des besoins exprimés ou constatés (par exemple la plateforme des associations africaines, amérindiennes, musulmanes ou turques). Conçues comme des espaces de médiation (collective), elles réunissent des représentant-e-s des associations, des individus intéressés par les thématiques ainsi que des membres de l’administration. Certaines se réunissent de manière régulière parce que les besoins spécifiques sont constants (en particulier les questions de discrimination), d’autres se réunissent ponctuellement ou de manière plus informelle pour répondre à des problématiques particulières (arrivées récentes, questions de genre, de santé, etc.).
Lors des discussions sur des problématiques évoquées, il est primordial que le dialogue demeure pragmatique, se basant sur des besoins réels et des négociations constantes, accentuant les discussions sur les aspects fonctionnels plutôt que symboliques.
En conclusion, Neuchâtel reconnaît que la diversité induit forcément un changement des différentes cultures, y compris la culture majoritaire, qui vivent sur son territoire pour donner lieu à un nouveau vivre-ensemble, sans cesse renouvelé. Dans un contexte national et international qui continue à faussement donner le sentiment qu’intégration rime avec assimilation, le point de vue neuchâtelois mérite d’être continuellement rappelé. Car le canton demeure convaincu de l’importance d’une politique interculturelle proactive pour contribuer au bien-être de l’ensemble des personnes qui vivent sur son territoire.
[1] Ce texte est un résumé d’un article publié dans: D’Amato G. (dir.) Identitiés neuchâteloises: le canton de Neuchâtel au fil de la migration, Editions G d’Encre, Le Locle, 2016, pp. 227-239.
[2] Flora Di Donato: L’intégration des personnes étrangères: entre assimilation et libéralisme. Newsletter CSDH No 25 du 11 mai 2015, en format pdf
[3] La Charte de la citoyenneté en format pdf