Politique du handicap : les partis au fil du temps
Les revendications des milieux du handicap sont de plus en plus acceptées en politique, notamment grâce aux partis du centre qui jouent un rôle pivot. Une étude des votes au Parlement le démontre.
Par Emilia Pasquier, M.A. en philosophie politique et économique, et Marc Bühlmann, Dr en sciences politiques et directeur de l’Année Politique Suisse, sur mandat d’AGILE Entraide Suisse Handicap
Le comportement de vote des partis au sujet de la politique du handicap [1] est un élément central pour les milieux proches des personnes handicapées. Bien que le clivage traditionnel entre la gauche et la droite semble dicter la plupart des débats, le PDC et les partis du nouveau centre (PBD et Vert’Libéraux) tendent à soutenir plus souvent les revendications des milieux du handicap.
Réfléchir à la question d’une véritable politique du handicap soulève de nombreuses interrogations pratiques, morales et économiques. Quels services l’Etat doit-il offrir aux personnes ayant des besoins spécifiques ? Qui est responsable de supporter ces coûts ? Quelles sont les limites de la solidarité ? Les partis politiques répondent à ces questions en suivant leurs propres valeurs et il est donc difficile de porter un regard objectif sur leurs positions en la matière. Le présent article pose donc une question simple : depuis la nouvelle législature de 2011, les positions des partis ont-elles évolué au sujet de la politique du handicap ? Pour répondre à cette question, nous avons comparé le travail des partis dans la législature actuelle avec celui effectué dans l’ancienne législature traitée en deux demi-législatures de deux ans. Plus précisément, nous avons comparé l’intérêt que portent les partis à la politique du handicap, ainsi que le soutien exprimé envers les milieux pro-handicap lors des votations au sein du parlement fédéral.
Pour ce faire, il est essentiel de comprendre ce que les partis entendent par « politique du handicap ». En parcourant les débats parlementaires, il est rapidement apparu que la politique du handicap comporte deux facettes. La première partie des objets politiques discutés se rapporte très clairement à la question de l’assurance-invalidité. Ces objets questionnent notamment la santé financière de l’AI, l’attribution et le montant des rentes. La deuxième catégorie concerne les personnes handicapées en tant que « groupe social ». On entend par là les questions relatives à l’intégration de ce groupe ou à l’aménagement d’infrastructures spécifiques au groupe. Grâce à ces deux catégories, il sera donc possible de mieux comprendre quels aspects de la politique du handicap sont mis en avant lors des débats à Berne.
Evolution de l’intérêt des partis politiques
Pour savoir quel parti thématise le plus le sujet du handicap au parlement, nous avons comptabilisé toutes les interventions parlementaires relatives à ce sujet entre 2007 et 2013. Dans l’ensemble, c’est le Parti socialiste qui cherche le plus souvent à mettre la politique du handicap sur l’agenda politique. Il comptabilise 80 interventions au total, soit loin devant le PDC (41 interventions) et l’UDC (36 interventions). En observant les trois périodes de deux ans séparément, le PS reste en tête sur deux périodes : 2009-2011 et 2011-2013. Au cours de ces deux périodes, il est suivi par le PDC et les Verts. Cependant, au cours de la première période (2007-2009), on observe que le PS est dépassé par l’UDC. Afin de comprendre l’intérêt prononcé de l’UDC lors des deux premières années de la législature de 2007, il est nécessaire de revoir le contexte de cette période. Le 27 septembre 2009, le peuple se prononçait sur le financement additionnel de l’AI par une augmentation de la TVA. Seul parti opposé à cette votation, l’UDC avait donc un intérêt certain à être présent sur ce sujet à ce moment-là. En effet, sur les 27 objets déposés par l’UDC entre 2007 et 2009, 15 l’ont été durant le mois de septembre 2009 (soit 52% des objets ; contre 13% pour le PDC, 33% pour le PLR et 16% pour le PS dans le même mois). L’explication du résultat de l’UDC pourrait donc être liée à l’actualité politique.
Concernant la nature des interventions, le PS se différencie par son intérêt pour les personnes handicapées en tant que groupe social. Avec 30 interventions classées dans la catégorie « groupe social » [2] sur les trois périodes, le PS est loin devant le PDC et les Verts (12 interventions chacun). Cependant, il est intéressant de noter qu’en termes relatifs, ce sont les Verts qui sont les plus attentifs à l’aspect « groupe social » au parlement. Au cours des trois périodes étudiées, 57% de leurs interventions concernent la question du handicap sous son aspect de « groupe social » (contre 27% des interventions pour le PS). Ainsi, bien que les assurances sociales soient omniprésentes dans les débats concernant le handicap, il serait faux de déclarer que la politique du handicap est uniquement une politique des assurances sociales.
Evolution des positions des partis politiques
Bien que le nombre d’interventions déposées par un parti informe sur sa motivation à mettre à l’agenda le thème du handicap, il ne donne pas d’information sur la position défendue par ce même parti. En effet, une motion peut souhaiter augmenter ou diminuer l’aide aux personnes handicapées. Ainsi, un nombre élevé d’interventions parlementaires ne signifie pas nécessairement un engagement fort pour la politique du handicap. Afin de lever le voile sur la question du soutien aux personnes handicapées, nous avons analysé le comportement des partis politiques lors des votations au Conseil national entre 2007 et 2013. Les objets sur lesquels les parlementaires se sont prononcés ont été classés en deux catégories : soit (1) favorables ou (2) défavorables aux revendications des personnes handicapées. Les interventions cherchant à couper les dépenses au sein de l’AI ou à réexaminer les rentes existantes ont par exemple été qualifiées de « défavorables ». Les résultats seront donc à lire avec prudence. En effet, bon nombre de partis soutenant des coupes dans le budget des assurances sociales argumentent que ces réexamens permettraient de rendre sa crédibilité à l’AI. Ainsi, une position « défavorable » ne signifie pas nécessairement un comportement hostile aux personnes handicapées [3].
Dans ces votes, on retrouve clairement le clivage gauche-droite. En effet, les deux partis de gauche, soit les Verts et le PS, sont très constants dans leur soutien à l’AI et aux personnes handicapées (moyenne proche de 100% de soutien). A l’inverse, l’UDC s’oppose fréquemment aux revendications des milieux pro-handicap. Le parti agrarien a soutenu ces revendications en moyenne à 7% entre 2007 et 2013. Le reste des partis bourgeois obtient une moyenne de 23% pour le PLR, 34% pour le PBD, 43% pour les Vert’libéraux et 44% pour le PDC.
Sur le graphique ci-dessous, l’inclinaison des courbes nous informe sur la tendance évolutive de chaque parti à soutenir les milieux proches des personnes handicapées lors des votations au Conseil national. Trois partis semblent avoir modifié leur position entre 2007 et 2013. Il s’agit des nouveaux partis du centre, le PBD et les Vert’libéraux, ainsi que du PDC, qui ont évolué vers un comportement de vote plus favorable à la politique du handicap. Le PDC est le parti qui connaît le plus fort changement (+26 points entre la moyenne de 2007-2009 et celle de 2011-2013). L’évolution du PDC est constante et ne semble donc pas dépendre uniquement des nouveaux parlementaires élus en 2011 (29% de votes favorables entre 2007-2009 ; 43% entre 2009-2011 et 55% entre 2011-2013). Les deux nouveaux partis, le PBD et les Vert’libéraux, enregistrent également une hausse d’environ 13 points. Ce glissement du centre vers une politique plus favorable envers les handicapés est d’autant plus intéressant que les autres partis gardent une position très stable.
Le centre – Un partenaire clé pour créer des majorités
Les observations précédentes permettent premièrement d’affirmer que la politique du handicap se définit de manière différente aux deux extrémités de l’échiquier politique. Pour les partis bourgeois, il s’agit d’une politique de l’assurance-invalidité, rythmée par les révisions de l’AI. Pour le PS et les Verts, les besoins des individus en tant que « groupe social » sont également une partie importante de leur politique envers les personnes handicapées. Cependant, pour toutes les formations politiques, « politique du handicap » rime bien avec « assurance-invalidité ».
Concernant l’évolution du parlement fédéral, la stabilité semble primer au Conseil national entre 2007 et 2013. Ainsi, le PLR et l’UDC, tout comme les Verts et le PS, sont très stables dans leur soutien aux milieux pro-handicap. Comme observé, il est tout de même un changement à relever. Le nouveau centre, soit le PBD et les Vert’libéraux, et le PDC affichent une réelle tendance en faveur des revendications des personnes handicapées. Il est difficile d’identifier la cause précise de changement. En effet, il peut s’agir d’un ras-le-bol des révisions de l’AI, d’une nouvelle législature plus ouverte [4] aux revendications des personnes handicapées, d’une plus grande liberté de vote au sein de ces partis, etc. Ce qui est sûr cependant, c’est que le comportement du PDC et du nouveau centre montre une réelle tendance pro-handicap. Après le classement du deuxième volet de la 6e révision de l’AI, il sera donc intéressant de suivre l’évolution de ces formations sur le dossier du handicap.
[1] Cette étude a été mandatée par AGILE Entraide Suisse Handicap à Année politique suisse, revue éditée par l’Institut de sciences politiques de l’Université de Berne. L’analyse a été publiée en ligne dans la « Revue Agile » 4/2013.
[2] Ces interventions peuvent aussi bien concerner les appareils auditifs que les chiens d’assistance pour aveugles, la fibromyalgie, la formation des interprètes en langue des signes, etc. La liste des objets parlementaires étudiés (avec le lien à la page internet du Parlement) peut être téléchargée en format pdf.
[3] La méthode de classification est exposée dans le pdf ci-dessus.
[4] Ndlr : Prévu ce 13 décembre 2013, le vote final pour l’acceptation de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées va dans le même sens.