Droit de protection : les mises en garde des usagers
Le nouveau droit de la protection veut améliorer la situation des usagers. Mais il contient en germe plusieurs risques. Le plus dangereux ? La réduction du handicap à sa perception biomédicale. Analyse.
Par Pierre Margot-Cattin, LLM, professeur HES et président a.i. du Conseil Egalité Handicap
Une première lecture du nouveau droit de la protection de l’adulte laisse à penser qu’il apporte de nombreuses améliorations pour les personnes qui ne peuvent pas assumer l’entière responsabilité de leurs actes en raison d’une limitation de leur capacité de discernement. Une lecture plus détaillée laisse apparaître un certain nombre de questionnements notamment en lien avec le respect des droits fondamentaux des usagers concernés. Le présent article n’a pas pour but de faire une analyse juridique détaillée de ce nouveau droit mais de mettre en lumière quelques questionnements personnels s’inspirant notamment de prises de positions diverses de quelques associations faîtières dans le domaine du handicap en Suisse.
Parmi les éléments positifs du nouveau droit qui entrera en vigueur le 1er janvier 2013, il faut noter la simplification du catalogue des mesures, celles-ci se réduisant à une seule mesure spécifique sous forme d’une curatelle adaptable aux besoins de protection de la personne concernée. Déjà à ce stade, il est possible d’identifier une volonté de se centrer sur les besoins spécifiques de la personne. La curatelle à « géométrie variable » revêt un caractère beaucoup moins stigmatisant qu’une mesure tutélaire ayant pour objet unique l’interdiction et la privation des droits civils. Cette curatelle pourra en effet aller d’une mesure très légère de curatelle d’accompagnement à une mesure globale de curatelle de portée générale. Les stades intermédiaires sont constitués de la curatelle de représentation ciblée sur un certains nombre d’actes prédéfinis et d’une curatelle de coopérations qui permet à l’usager de pouvoir, en principe, pourvoir à ses propres intérêts tout en étant soumis à l’accord de son curateur pour un certain nombre d’entre eux déterminés à l’avance. Les différents types de curatelle peuvent également se combiner entre elles. La géométrie variable porte donc tant sur l’étendue de la mesure que sur le type de mesures qui peuvent être mise en place.
Un grand pouvoir d’appréciation de l’autorité
Il est légitime de s’interroger sur les critères de choix qui permettront à l’autorité de définir le type et la portée exacte de la mesure de curatelle. Ces critères reposent sur l’application de trois principes généraux :
- L’adéquation met en avant l’idée que la mesure doit être adéquate à savoir adaptée aux besoins de la personne, utile et efficace. Il est bien entendu difficile de savoir à l’avance si la mesure atteindra son objectif d’utilité. Si, d’emblée, il est constaté que la mesure proposée sera inutile, l’autorité n’a pas lieu de l’instaurer.
- La nécessité de la mesure doit être établie. L’absence de mesures doit avoir pour conséquence un risque grave pour la personne concernée de compromettre ses intérêts personnels, notamment son intégrité économique.
- Le caractère subsidiaire de la mesure nécessite de choisir la mesure la plus légère et la moins contraignante pour garantir, ou du moins espérer son utilité.
L’application de ces trois principes repose sur l’octroi à l’autorité de protection d’un grand pouvoir d’appréciation. Or, le nouveau droit ne fixe aucune règle pour l’organisation de ces autorités. Les cantons gardent une totale liberté en la matière et sont, de fait, organisés de manière extrêmement diverse. Il est à craindre que la qualité nécessaire à l’accompagnement et au conseil, dans une tâche aussi délicate que celle-ci, ne puisse être garantie. Cet élément est pourtant la clé d’une application uniforme du nouveau droit et d’un respect des principes fondamentaux d’égalité des chances des usagers concernés.
Une perception biomédicale réductrice
Si ces principes sont potentiellement de nature à mieux protéger les droits fondamentaux des personnes concernées, leur mise en pratique risque de poser un certain nombre de questionnements qui pourraient être source de disparités dans leur application. Il est à craindre que les autorités de protection développent et adoptent des critères normés qui définissent le type de mesures à prendre en lien avec le type d’incapacité mise en avant par l’expertise médicale. Or celle-ci repose principalement sur l’évaluation de la capacité de discernement de l’usager. Cette approche renforce une fois de plus une perception biomédicale de la notion d’incapacité et va à l’encontre des tendances actuelles reconnues en matière de compréhension de la notion de handicap comme résultant des possibilités d’interaction de la personne avec un contexte donné. Dès lors, le caractère sur-mesure et adaptable de la décision sera vraisemblablement remis en cause au profit d’une standardisation des décisions en lien avec une catégorisation des types d’usagers.
Une telle position risque de créer des difficultés de compatibilité avec la convention de l’ONU sur les droits des personnes handicapées dont, il faut bien le rappeler, la Suisse n’est pas encore partie signataire. En effet, à son article 12, ladite convention souligne que les états partie réaffirment un droit pour les personnes handicapées à la reconnaissance en tous lieux de leur personnalité juridique. Cet élément inclut une reconnaissance de la capacité juridique dans tous les domaines sur la base de l’égalité avec les autres. L’objectif est de proposer un accompagnement adéquat pour cet exercice de la capacité juridique. Il s’agit là d’un postulat que les états ne peuvent remettre en cause que dans la situation où les mesures appropriées d’accompagnement ne suffisent pas à garantir cet exercice en toute égalité avec les autres citoyens. Une pratique de standardisation et de catégorisation mettrait très clairement en cause l’intention législative de proposer des mesures qui répondent effectivement aux besoins de l’usager. Il faut le réaffirmer haut et fort, le handicap n’est pas en soi source d’incapacité. Seules les conséquences de celui-ci peuvent influer sur les possibilités de l’usager à se déterminer librement en pleine conscience et volonté.
La notion de confiance dans le cas du handicap mental
Une autre problématique se dégage du nouveau droit. Celui-ci pose des questions fondamentales en lien avec la notion de confiance que l’on se doit de donner aux usagers. Cette notion de confiance s’exprime à plusieurs niveaux. En premier lieu le placement sous autorité parentale de l’enfant majeur disparaît. Les proches, parents, frères et sœurs gardent toutefois la possibilité d’intervenir en qualité de curateur avec des obligations et responsabilités allégées notamment s’agissant de l’établissement des rapports et des comptes périodiques. Si, a priori, cet élément peut être considéré comme positif dans le contexte d’une volonté d’autonomisation de l’usager et de distanciation de celui-ci envers ses parents et ses proches pour vivre une vie plus autodéterminée, une seconde lecture permet de comprendre que cette mesure fait fi du contexte particulier des personnes vivant avec un handicap mental. Le maintien de la relation d’autorité parentale avait pour avantage de garantir une continuité du statut d’enfant d’une personne devenue adulte sur le plan de son âge. Cet élément se justifiait pleinement par la présence d’un handicap mental qui a souvent pour conséquence de ralentir le processus de maturité nécessaire à une pleine capacité de discernement. Supprimer cette possibilité revient à poser le constat, à un moment donné, d’un développement incomplet des capacités cognitives de la personne sans lui laisser la possibilité de poursuivre une possible évolution dans un climat de confiance en lien avec le cadre familial.
La notion de confiance est également très présente dans d’autres éléments du nouveau droit, à savoir le mandat pour cause d’inaptitude et les directives anticipées. Le but de ces outils est de permettre la désignation d’une personne de confiance à même de gérer les affaires courantes ou de représenter l’usager en cas d’incapacité temporaire d’une certaine durée. Si cette disposition est un avantage certain pour bon nombre de personnes en situation de handicap qui doivent affronter une hospitalisation de longue durée, il pose un certain nombre de questions pour les situations plus spécifiques en lien avec des troubles psychiques dont les caractéristiques font alterner des périodes de crise avec des périodes de stabilisation. De par la particularité de leur atteinte, les personnes psychiquement handicapées sont généralement des personnes qui peuvent faire face à un grand isolement social. Il peut être difficile pour elles de développer une relation de confiance suffisante avec une personne tierce qui serait à même d’intervenir en période de crise. Or, le nouveau droit ne propose pas de solution alternative.
De manière plus fondamentale se pose également la question de la valeur juridique des directives anticipées, lorsque cet outil est utilisé par une personne atteinte de troubles psychiques dont la capacité de discernement peut varier selon qu’elle se trouve en situation de crise ou non. Il est probable de voir se développer une pratique qui tendra à considérer qu’une telle personne ne peut avoir une capacité de discernement suffisante pour décider de directives anticipées, ce afin d’éviter les risques liés à une contestation de ladite capacité. C’est indirectement priver d’un droit reconnu par la loi une catégorie de population directement concernée par celle-ci.
Finalement, et de manière plus anecdotique, le mandat obéit à un critère formel de validité. Il doit être soit rédigé à la main (forme olographe) soit être accueilli par un notaire sous la forme d’un acte authentique. Vu sous l’angle de l’égalité des chances, la forme olographe crée une discrimination évidente pour les personnes qui ne peuvent pas écrire. Pour ces dernières, seule la forme notariée est possible, engendrant des coûts (frais et émoluments de notaire) que la loi ne prévoit pas de mettre à la charge de la collectivité pour ces cas particuliers. Le choix d’une forme particulière met en lumière la difficulté du législateur à faire confiance à l’usager dans la valeur qu’il met à sa déclaration de volonté contenue dans le mandat.
Dans l’application, la vigilance s’impose
Le nouveau droit suisse de la protection de la personne adulte est, dans l’ensemble, accueilli comme un progrès en tant que mesure de soutien à l’autonomie et au respect de l’usager. Les exemples de questionnement ci-dessus montrent toutefois que sa mise en application posera des problèmes concrets qui, sauf vigilance particulière d’organismes de défense des droits des usagers, pourrait restreindre de manière indue leurs droits fondamentaux. Restons donc attentifs à la mise en place de ce nouveau droit et posons-nous comme garant du respect tant de la volonté du législateur que les droits des usagers.