Jeunes placés : le moment clé de l’accueil
Lorsque des jeunes sont placés dans une institution, le processus d’accueil est un moment important pour la réussite de la mesure. Comment les éducateur·trice·s perçoivent-ils leur rôle avant, pendant et après l’arrivée ?
Par Charlotte Yerly et Lionel Friedli, travail de bachelor, HETS-FR, Givisiez
Les processus d’accueil dans des institutions ouvertes destinées aux jeunes de 12 à 18 ans ont un impact important sur le placement. Six entretiens semi-directifs menés dans les cantons de Vaud et de Berne ont exploré le rôle de l’éducateur·trice dans ces moments-clés qui visent à garantir au mieux le bien-être du jeune et son bon développement [1]. Sept étapes principales ont été identifiées : la prise de contact; la vérification des possibilités d’accueil; la rencontre entre jeunes, professionnels et famille; la journée d’essai; l’admission; l’entrée le premier jour; le temps d’essai ou période d’observation.
Ces étapes se répartissent en deux phases. La première, généralement dévolue aux directions, va de la prise de contact à l’admission. Elle représente ce que Lurin, Pecorini & Wassmer (2008) [2] appellent la «formulation de l’indication». Les institutions font alors connaissance avec le jeune et sa famille. Elles récoltent un maximum d’informations sur la situation personnelle et sur les attentes de son réseau. Ces échanges permettent d’évaluer si le jeune peut ou non être accueilli dans l'institution.
La deuxième phase, dévolue pour l’essentiel aux éducateur·trice·s, démarre lors de l’entrée, le premier jour, et se termine après le temps d’essai ou période d’observation. En fait, un travail est également accompli en amont de l’entrée, avec une réflexion sur la façon d’accueillir le jeune dans le groupe afin qu’il s’installe dans son nouveau lieu de vie en douceur. Cette préparation passe entre autres par un cadeau ou par l’inscription du nom du jeune dans différents endroits tels que la porte de la chambre ou le vestiaire.
Comme le préconise Quality4Children (2008) [3] dans son outil d’aide à l’accueil, il est important qu’un nouvel arrivant soit accueilli avec le moins de bouleversement possible pour maintenir son bien-être. Les témoignages recueillis vont dans ce sens puisqu’ils montrent que les éducateur·-trice·s, dans leur fonction, accordent une grande importance à la préparation des lieux avant l'arrivée du jeune.
Bienveillance et non-jugement
Un aspect prioritaire du rôle des éducateurs lors de l'accueil est la création de liens : les liens entre les jeunes, ainsi qu’un lien de confiance entre le nouvel arrivant et les professionnel·le·s. Pour créer cette relation dans les meilleures conditions, la majorité des éducateur-trice-s interrogés disent se baser sur le principe de la bienveillance. Elle est parfois déclinée avec les notions de respect, de douceur, d’écoute et de non-jugement. Cette création de liens est essentielle pour être à même d’accompagner le jeune au quotidien.
Tant que les éducateur·trice·s ne connaissent pas le nouvel arrivant, leur rôle est particulier. Il s’agit de viser l’inclusion du jeune dans son nouveau lieu de vie tout en respectant son rythme. Par exemple, l’éducateur·trice se montrera plus souple sur certaines règles avec le nouvel arrivant. Ensuite, une fois le lien de confiance établi, il sera à nouveau plus cadrant quant à l’application des règles.
Chaque acteur impliqué dans le processus d’accueil est face à plusieurs enjeux, avec ses composants positifs et négatifs. Pour les jeunes, un enjeu réside dans la compréhension et l'acceptation du cadre, ce qui n’est possible que si un lien sécure avec leurs éducateur-trice-s et leurs pairs s’établit. Pour l’équipe éducative, il importe de garantir le bien-être du jeune tout en veillant à la dynamique au sein du groupe. De son côté, la famille est aussi concernée par certains enjeux, en particulier la création d’un lien, l’acceptation et la compréhension du cadre. À chaque arrivée d’un jeune, l’institution est elle aussi impliquée puisque, d’une certaine façon, elle met en jeu son image face aux divers réseaux. Elle doit de plus garantir la cohésion éducative.
Afin de répondre à ces attentes, les éducateur·trice·s ont à leur disposition un grand nombre d’outils. Le cadeau de bienvenue en est un bon exemple. Avec ce qui semble être une simple peluche ou une plante verte, les équipes éducatives tentent d’aider le jeune et lui donne un repère personnel dans son nouveau lieu de vie. Certaines institutions mettent en place des camps à l’extérieur lors de la première semaine de la rentrée pour créer une nouvelle dynamique de groupe. Bien entendu, le réseau du jeune est lui aussi un facteur clé pour obtenir les informations nécessaires au bon déroulement du placement.
Ces diverses interactions convergent vers l’enjeu central du processus d’accueil : l'adhésion du jeune à son placement. Cette adhésion est primordiale selon Lepage-Chabriais (1996) [4] afin que la mesure se montre bénéfique. Ainsi, il est important que les éducateur·trice·s identifient le type de placement auquel le jeune est confronté. En effet, si un jeune se retrouve en foyer suite à une décision judiciaire, il risque d’adopter une attitude plutôt négative et résistante face au placement tout en perdant confiance en lui et en l’adulte. Si le placement est décidé par un·e assistant·e social·e, suite aux échecs des mesures précédentes, le jeune adoptera un comportement fataliste ou de résignation. Il aura donc de la peine à s’impliquer dans son placement. Le type de placement volontaire est plutôt choisi par le jeune ou sa famille. Il ou sa famille aura alors une attitude plus motivée et participative, voire exigeante, envers les professionnel·le·s (Lepage-Chabriais 1996).
Le temps de la décompression
Pour une entrée réussie, il faut donc que l’institution offre au jeune la garantie de son bien-être ainsi qu’un accompagnement adapté à sa problématique. Il importe aussi d'anticiper l’accueil et de mettre en place des modalités d’inclusion progressives au nouveau cadre de vie. L’étape du temps d’essai représente ainsi un sas de décompression afin que le jeune s'acclimate, à son rythme, à la rigueur du placement tout en créant du lien avec ses pairs et les éducateur·trice·s.
Globalement, les éducateur·trice·s considèrent leur fonction comme étroitement liée au contexte et aux limites fixées par l’institution. Dans le processus d’accueil, ils se perçoivent avec des rôles qui évoluent et se modifient : rester en retrait, établir le lien, expliciter le cadre, observer, écouter, rassurer, sécuriser. Ces modifications dans leur rôle interviennent en fonction du contexte (étape), mais aussi au travers de l’adéquation entre les valeurs de l’éducateur·trice et les enjeux présents.
Certains éducateur·trice·s ont évoqué l’idée d’établir un «aide-mémoire» de l’accueil pour clarifier les étapes et mieux définir les rôles successifs et les enjeux prioritaires. Leur but commun ? Rendre le processus d’accueil le plus respectueux possible du bien-être des jeunes accueillis.
[1] «Comment des éducateurs perçoivent-ils leur rôle dans le processus d’accueil en institution ouverte dans les cantons de Berne et Vaud», Charlotte Yerly et Lionel Friedli, travail de bachelor, sous la direction de Christian Maggiori, Haute école de travail social de Fribourg. CF Bibliothèque de la HETS-FR, cote HEF-TS M-1342.
[2] Lurin, J., Pecorini, M., Wassmer, P.-A., (2008). Accueil et placements d’enfant et d’adolescent : évaluation du dispositif de l’éducation spécialisée à Genève. Genève, Suisse : Département de l’instruction publique, Service de la recherche en éducation
[3] Quality4Children, (2008). Quality4Children : Standards pour le placement des enfants hors du foyer familial en Europe. Récupéré de Quality4Children
[4] Lepage-Chabriais, M. (1996). Réussir le placement des mineurs en danger : Manuel à l’usage des éducateurs. Paris, France : L’Harmattan
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Charlotte Yerly et Lionel Friedli, «Jeunes placés : le moment clé de l’accueil», REISO - Revue d'information sociale, mis en ligne le 19 avril 2018, https://www.reiso.org/document/2958