Le milieu socio-sanitaire décrit l’impact de la crise
Une enquête a exploré le point de vue de 458 professionnel·le·s du travail social et de la santé sur les conséquences de la Covid-19. Quel impact le semi-confinement a-t-il eu pour elles et eux ainsi que pour les publics du domaine socio-sanitaire ?
Par Alida Gulfi, Geneviève Piérart et Dolores Angela Castelli Dransart, professeures, Haute école de travail social Fribourg
Les impacts économiques et sociaux de la crise sanitaire de la Covid-19 commencent à être identifiés aujourd’hui. Toutefois, au printemps 2020, lors de la première phase de semi-confinement, ces impacts sur les bénéficiaires de prestations de travail social et de santé, en dehors des aspects directement liés à la maladie en question, étaient peu connus alors même que ces personnes ont été particulièrement touchées, ainsi que les professionnel·le·s qui les accompagnent.
Menée par la Haute école de travail social Fribourg (HETS-FR), une enquête auprès des professionnel·le·s du travail social et de la santé a recueilli leur point de vue sur la manière dont la crise sanitaire a influencé et continue à influencer la situation des bénéficiaires ainsi que la leur. Au total, 458 personnes ont complété un questionnaire en ligne : 72% des répondant·e·s sont des femmes, leur âge moyen est de 42 ans et la plupart travaillent dans le domaine de l’action sociale (69%) ou de la santé (12%).
Les conséquences sur les professionnel·le·s
Les premiers résultats mettent en évidence que la crise de la Covid-19 provoque des conséquences variées, tant sur le plan personnel que professionnel et institutionnel. Au niveau institutionnel, les professionnel·le·s du domaine socio-sanitaire font état d’un impact sur les conditions d’exercice de leur travail, par exemple avec la modification du taux d’activité et des horaires habituels, ou le télétravail. Durant le semi-confinement, elles/ils ont été également amené·e·s à fournir aux bénéficiaires des activités et des services spécifiques , par exemple du soutien psychologique et/ou émotionnel aux bénéficiaires, du conseil et/ou soutien aux proches, ainsi que des informations sur les droits et les opportunités de soutien.
Au niveau professionnel, 32% des participant·e·s indiquent que leur motivation au travail a augmenté pendant le semi-confinement, alors que 22% constate une baisse de leur motivation. D’autre part, 57% des personnes interrogées indiquent avoir ressenti une sensation de surcharge pendant cette période, notamment au niveau de leur état émotionnel ou physique, de la quantité ou des conditions de travail et en lien avec les besoins ou les émotions exprimés par les bénéficiaires. Il n’est donc pas étonnant de constater que près de 37% des participant·e·s déclarent avoir eu de la peine à concilier leur vie privée avec leur vie professionnelle.
Sur le plan personnel, le semi-confinement a engendré des conséquences sur leur vie au quotidien. Les conséquences négatives les plus fréquemment vécues (au moins une fois par semaine) ont été le manque d’énergie et une fatigue marquée, ainsi que le sentiment d’être dépassé·e par les événements. Mais le semi-confinement a aussi suscité des réactions positives (au moins une fois par semaine), notamment l’espoir que cette pandémie incite à déployer le meilleur de l’être humain (solidarité, engagement, etc.), ou que la société va tirer des leçons salutaires à la suite de cette pandémie ainsi qu’une motivation personnelle à donner le meilleur d’elles/eux-mêmes.
En matière de ressources et de soutien, la plupart des participant·e·s (87%) affirment avoir eu souvent, voire toujours, le sentiment que leurs ressources internes et personnelles étaient suffisantes pour faire face au semi-confinement. Les activités physiques (promenades, sport), le partage de son propre ressenti avec des proches ainsi que les activités de loisir (lecture, regarder la TV, cuisine, bricolage, etc.) ont été les activités qui les ont le plus aidé·e·s pour faire face au semi-confinement. Par ailleurs, six participant·e·s sur dix relèvent avoir eu besoin de soutien de la part de leur entourage professionnel et privé pour faire face au semi-confinement, soutien sur lequel elles/ils ont pu compter. Finalement, la plupart des professionnel·le·s (76%) estime que l’organisation dans laquelle elles/ils travaillent a mis à leur disposition suffisamment de ressources en termes de moyens matériels et logistiques (masques, autre matériel, tests, aménagement de l’espace, forces de travail) et de possibilités d’échanges ou de soutien émotionnel (64%) lors de cette période.
Les conséquences sur les bénéficiaires
Selon les personnes interrogées, les bénéficiaires de prestations de travail social et de santé ont été également touché·e·s par la crise de la Covid-19 de diverses manières. D’une part, 78% des participant·e·s estiment qu’une partie, voire la majorité, des bénéficiaires accompagné·e·s font partie des groupes à risque pour la Covid-19. D’autre part, selon huit répondant·e·s sur dix, la majorité des bénéficiaires ont dû relever des défis spécifiques liés au semi-confinement, notamment l’isolement, des problèmes d’accès aux lieux et/ou aux activités habituels, des problèmes de santé mentale et des difficultés d’accès aux prestations sociales, éducatives et/ou de santé.
Aux yeux de 57% des personnes interrogées, la majorité des bénéficiaires ont reçu des soutiens spécifiques de la part des organisations du domaine socio-sanitaire en lien avec le semi-confinement, principalement du soutien psychologique et/ou émotionnel, de l’information sur les droits et les opportunités de soutien ainsi que du conseil et/ou soutien à leurs proches. Un tiers des professionnel·le·s estiment que les besoins spécifiques exprimés par la majorité des bénéficiaires ont été satisfaits.
En matière de ressources, 46% des participant·e·s à l’enquête estiment que la majorité des bénéficiaires qu’elles/ils accompagnent ont développé des ressources et/ou compétences spécifiques pour relever les défis liés au semi-confinement, notamment des compétences d’autonomie, de prise d’initiative et d’adaptation à la situation, ou encore des compétences relationnelles et de communication (par exemple, utilisation d’outils informatiques) avec la famille, les ami·e·s, le voisinage ou le réseau professionnel qui les entoure.
Constats et recommandations
Pour conclure, les résultats de cette enquête montrent que la crise de la Covid-19 a eu un impact sur les conditions d’exercice, les activités et les services fournis aux bénéficiaires par les professionnel·le·s du travail social et de la santé. Les bénéficiaires qu’elles/ils accompagnent ont été également touchés par cette crise, notamment en termes de défis à relever et de besoins de soutien spécifiques. Finalement, les répondant·e·s estiment que la crise de la Covid-19 aura un impact à long terme sur la situation des personnes qui bénéficient de prestations de travail social et de santé, de même que sur la leur.
A l’heure où un nouveau semi-confinement est instauré dans plusieurs régions, une attention particulière doit être portée aux conditions de travail des personnels de la santé et du social. Si l’épuisement des soignant·e·s directement actif·ve·s sur le front de la Covid-19 suscite préoccupation, il ne s’agit pas de négliger non plus les professionnel·le·s qui, dans les institutions spécialisées, les services sociaux, les associations, les centres de jour, etc., doivent à nouveau mobiliser leurs compétences adaptatives en faveur de bénéficiaires (fortement) impacté·e·s par les conséquences économiques et sociales de la Covid-19. Le point de vue et les besoins des bénéficiaires devraient également être entendus afin que les impacts sociaux et sanitaires (notamment en termes de santé mentale) puissent être contenus.
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Alida Gulfi, Geneviève Piérart et Dolores Angela Castelli Dransart, «Le milieu socio-sanitaire décrit l’impact de la crise», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 13 novembre 2020, https://www.reiso.org/document/6638