Jeunes trans et non binaires: quelle santé sexuelle?
Une étude lausannoise s’est intéressée à la santé sexuelle des jeunes trans et non binaires en francophonie. Elle montre notamment qu’il s’agirait d’intégrer davantage les diversités de genre dans les cours d’éducation sexuelle.
Par Adèle Zufferey, psychologue et sexologue, et Justine Laura Cuendet, psychologue et sexologue, Fondation Agnodice, Lausanne [1]
La connaissance de l’état de la santé sexuelle des personnes transgenres et non binaires reste encore très lacunaire dans la littérature internationale, et inexistante au niveau francophone. La présente recherche s’articule dans une volonté de pallier ce manque et d’apporter des éclairages sur certaines problématiques spécifiques à cette frange de la population. De fait, la santé sexuelle, ainsi que ses supports d’apprentissages tels que les brochures, cours d’éducation sexuelle, structures d’accueil ou visibilisations médiatiques, s’ancre dans une vision hétérocisnormative [2] des individus et des relations.
L’invisibilisation des thématiques transgenres et non binaires dans les dispositifs de prévention et d’éducation sexuelle entraînent, chez les jeunes concerné·e·s, des vécus de l’image de soi plus négatifs et des prises de risques accrues dans les rapports sexuels (Bungener).
Un questionnaire en ligne
Entre septembre et décembre 2021, 353 personnes de 16 à 33 ans ont répondu à un questionnaire en ligne, diffusé sur les réseaux sociaux par des professionnel·le·s de la santé et du social, ainsi que par les milieux associatifs. Au niveau géographique, une première moitié des participant·e·s vit actuellement en Suisse romande, tandis que la seconde se répartit majoritairement entre la France et la Belgique.
La moyenne d’âge de l’échantillon est de 20 ans et 8 mois. Celui-ci est composé de 5,9% de jeunes s’identifiant comme femmes transgenres[3], 33,6% comme hommes transgenres, 58,8% comme non binaires et 1,7% comme en questionnement. Pour le sexe assigné à la naissance, une proportion de 87,4% a été assignée fille, 12,6% a été assignée garçon. 1,4% des personnes présente une intersexuation. En ce qui concerne les orientations sexuelles, 41,8% se sont définies comme pansexuel·le·s [4], 15,8% comme homosexuel·le·s, 12,7% comme bisexuel·le·s, 9% comme hétérosexuel·le·s et 20,7% dans d’autres catégorisations[5].
L’extraction des données du questionnaire a été interprétée à travers des analyses descriptives simples et des khi carré de fréquence. Les différents résultats sont présentés ci-dessous par catégories principales.
Satisfaction sexuelle
La satisfaction sexuelle a été évaluée au moyen d’une échelle de Lickert de 1 à 5 (pas du tout satisfait·e·s à très satisfait·e·s). La tendance générale (49,7%) penche vers une satisfaction sexuelle plutôt positive et une insatisfaction à hauteur de 21,2%. Le reste des répondant·e·s n’arrivaient pas à se situer sur cet item et ont coché la note 3 « neutre » (29,1%).
Un lien significatif a pu être mis en lumière entre l’identité et la satisfaction sexuelle. En effet, les personnes non-binaires assignées fille à la naissance rapportent une plus grande satisfaction sexuelle, alors que les femmes trans tendent vers une moins bonne satisfaction sexuelle générale.
Le consentement
Le consentement a été défini ici comme des relations sexuelles acceptées « sans en avoir vraiment envie », dans une perspective de « rentrer dans un rapport sexuel, mais sans le vouloir soi-même ». Un total de 60,5% des personnes confirment avoir eu des rapports sexuels sans en avoir vraiment envie.
Une corrélation a pu être détaillée entre l’âge et la possibilité de dire non à des relations sexuelles sans envie, ainsi qu’entre l’identité de genre et le consentement. La tranche d’âge 15-17 ans s’avère la plus touchée par ces relations non désirées contrairement aux plus âgé·e·s, ainsi que les personnes assignées fille à la naissance ou trans-féminines dans les relations avec des hommes cisgenres.
Protections et rapports à risques
Plusieurs items du questionnaire visaient à l’analyse des moyens de protections utilisés par les participant·e·s, ainsi que leurs perceptions de leurs conduites en termes de risques. Pour les protections dans un contexte de sexe oral, seul·e·s 4,8% des personnes rapportent les utiliser « toujours » contre 51,4% « jamais » et 16,4% « parfois ». Dans des rapports sexuels vaginaux, 20,9% n’utilisent « jamais » de protections, 20,9% « parfois » et 24,9% « toujours ». Finalement, pour les personnes entretenant des rapports anaux, 10,5% n’ont jamais utilisé de protections, 12,1% « parfois » et 15,3% « toujours ».
Majoritairement (70,1%), les personnes concerné·e·s estiment n’avoir pas ou peu des relations sexuelles à risques. 12,7% ne se prononcent pas et 12,4% jugent avoir des relations à risques.
Des valeurs significatives éclairent une tendance à une moindre utilisation des moyens de protections chez les jeunes de 16 – 17 ans. Dans les rapports vaginaux, les hommes trans se protègent significativement moins. Il en est de même lors de rapports anaux, qu’il s’agisse de relations sexuelles avec des femmes cisgenres ou de rapports avec des hommes cisgenres ou transgenres. Les femmes trans sont très significativement celles qui utilisent le moins de protections (orales et anales) dans des contextes de relations avec des hommes cisgenres.
Education sexuelle et santé sexuelle
Une partie du questionnaire articulait les cours d’éducation sexuelle avec leur profitabilité pour les jeunes trans et non-binaires, selon la représentativité des diversités de genre lors de ces séances.
L’écrasante majorité (94,9%) rapporte une absence de présentation des diversités de genre dans le cadre de leurs cours d’éducation sexuelle. De ce fait, 59,7% considéraient ne pas être concerné·e·s par les contenus de ces leçons, tandis que 26% donnent un avis « neutre ». Pour contre balancer, 96,6% estimaient qu’iels auraient mieux suivi les informations de santé sexuelle s’iels y avaient été représenté·e·s. Seul·e·s 38,2% trouvent que l’éducation sexuelle leur a été profitable pour leur propre santé sexuelle.
Vers une approche inclusive de l’éducation sexuelle
Les résultats de cette étude appuient les constats internationaux formulés autour de cette population : les jeunes trans entretiennent une tendance aux rapports sexuels à risques et non consentis (Kaestle and Waller ; Hobaica et al.).
Ces réponses standardisées doivent être complétées à la lumière des explications rédactionnelles demandées aux participant·e·s autour de certains items. Tout d’abord, l’absence de protection lors de rapports sexuels vaginaux dans la population trans masculine est lié aux génitalités des partenaires. En effet, les jeunes estiment qu’iels « ne relationnent qu’entre personnes à vulves », avec comme préconceptions que les infections sexuellement transmissibles ne concernent que les rapports phallo-vaginaux et phallo-anaux. L’une des justifications saillantes s’axe également autour du manque d’accompagnement pédagogique sur la santé sexuelle et dans le milieu médical. La peur d’être mégenré et de ne pas être reconnu dans sa diversité en termes d’identité et de corporéité y jouent principalement.
Les jeunes femmes trans sont les plus vulnérables aux comportements sexuels à risques, plus précocement et moins consentis. L’interprétation princeps de ces tendances a déjà été esquissée dans des recherches cliniques (Williams et al.) autour de rapports sexuels d’affirmative sex, ou de reconnaissance, c’est à dire l’affirmation de l’identité de genre ressentie à travers la désidérabilité vécue lors de la relation.
Le regard porté sur les relations sexuelles non consenties semble s’inscrire dans les analyses féministes de la domination des corps sexués et perçus comme femelle. La performance de la féminité chez les femmes trans et les « attributs » ayant une représentation stéréotypée féminine chez les personnes assignées fille à la naissance, comme la voix, la poitrine, les formes du corps ou les traits du visage, pourraient contribuer à cette incarnation du corps-objets que peuvent s’approprier les hommes hétérosexuels cisgenres, dans un espace défini aujourd’hui comme la culture du viol.
Selon une étude de Kattari et al., une éducation à une santé sexuelle inclusive permet de palier les risques évoqués plus haut et, ainsi, d’obtenir un message de prévention plus large à destination des minorités de genre. Les données recueillies auprès des 353 participant·e·s confirment que l’absence de représentations inclusives lors des cours d’éducation sexuelle impacte directement l’intérêt pour les jeunes concerné·e·s aux informations transmises. Mais elle influence surtout la mise en pratique des moyens de protections, avec pour conséquence la mise en péril de leur santé sexuelle, somatique et psychique.
L’accès à une éducation sexuelle inclusive ne se limite pas, en termes de bénéfices, aux frontières des minorités sexuelles et de genre. Elle s’avère favorable à toutes les personnes y ayant accès, en déconstruisant des stéréotypes qui enferment autant les femmes que les hommes. Décoloniser les normes apprises de sexe et de genre permettrait un apprentissage plus serein des rapports aux autres, aux corps, aux sexualités et à soi.
Des solutions pour pallier les risques
Cet état des lieux francophone autour de la santé sexuelle des populations trans et non binaires porte la même constatation que ses prédécesseurs internationaux. Il souligne l’importance d’un accompagnement systémique, de terrain, pluridisciplinaire, de sexo-éducation à l’intention de ces jeunes. Plus d’études doivent être menées autour de ces sujets afin de proposer un panel de solutions, d’élaborer leurs mises en place et d’évaluer leurs efficacités.
Les travaux autour de la prévention des infections et maladies sexuellement transmissibles ne finissent toutefois pas d’insister sur la nécessité de ces démarches auprès de la population générale et, à plus forte raison, auprès des minorités. Dans une perspective intersectionnelle, le cumul des oppressions minoritaires, leurs effets sur le psychisme, du genre ressenti et perçu/performé, ainsi que ces facteurs de vulnérabilités sexuelles poussent à penser des lieux safe et encadrants pour le soutien ainsi que l’accompagnement des situations les plus à risques.
Cette constatation a mené à l’ouverture d’un groupe de santé sexuelle par les pairs en mixité choisie, encadré par des professionnel·le·s. Comme une première étape vers une approche inclusive de l’éducation sexuelle, ainsi qu’au plus près des demandes et des besoins des jeunes concerné·e·s.
Bibliographie
- Bungener, S. L., Steensma, T. D., Cohen-Kettenis, P. T., & De Vries, A. L. (2017). Sexual and romantic experiences of transgender youth before gender-affirmative treatment. Pediatrics, 139(3).
- Hobaica, S., Schofield, K., & Kwon, P. (2019). “Here’s Your Anatomy… Good Luck”: Transgender Individuals in Cisnormative Sex Education. American Journal of Sexuality Education, 14(3), 358-387.
- Kaestle, C. E., & Waller, M. W. (2011). Bacterial STDs and perceived risk among sexual minority young adults. Perspectives on sexual and reproductive health, 43(3), 158-163.
- Kattari, S. K., Walls, N. E., Atteberry-Ash, B., Klemmer, C., Rusow, J. A., & Kattari, L. (2019). Missing from the conversation: Sexual risk factors across young people by gender identity and sexual orientation. International Journal of Sexual Health, 31(4), 394-406.
- Williams, C. J., Weinberg, M. S., & Rosenberger, J. G. (2016). Trans women doing sex in San Francisco. Archives of sexual behavior, 45(7), 1665-1678.
[1] Nos remerciements vont aux participant·e·s de ce projet et à Aline Monnard, ainsi que Charlotte Pellaton pour leur aide dans les analyses statistiques.
[2] L’hétérocisnormativité correspond au présupposé que les personnes à qui l’on s’adresse sont hétérosexuelles et cisgenres, c’est-à-dire dont le sexe assigné à la naissance correspond à l’identité de genre ressentie.
[3] Nous désignons par « femmes transgenres » les personnes ayant été assignées au sexe masculin à la naissance et dont l’identité de genre est féminine. Les hommes transgenres, quant à eux, ont été assignés femmes à la naissance et ont une identité de genre masculine. Les personnes non binaires représentent un large spectre d’identités au-delà de ces catégorisations binaires.
[4] Personnes se définissant comme ayant une attraction sexuelle pour n’importe quelles personnes quels que soient leur identité de genre et leur sexe assigné à la naissance.
[5] Ces catégorisations représentent une diversité d’orientations qui caractérisent spécifiquement certains vécus : asexuelle, demisexuelle, graysexuelle, sapiosexuelle,…
Cet article appartient au dossier Intimité(S)
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Adèle Zufferey et Justine Laura Cuendet, «Jeunes trans et non binaires: quelle santé sexuelle?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 28 février 2022, https://www.reiso.org/document/8651