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La culture numérique défie l’éducation sociale

Jeudi 12.03.2020
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Cet article présente une réflexion croisée entre la sociologie et l’expérience du terrain institutionnel. Comment intégrer la culture numérique des jeunes ? Et quels impacts concrets a-t-elle sur leur accompagnement social ?

Par Claire Balleys, sociologue, et Olivier Baud, travailleur social, Genève

Cet article est issu d’un échange intellectuel et amical entre Olivier Baud, secrétaire général de la Fondation officielle de la jeunesse (FOJ) entre 2007 et 2019, et Claire Balleys, sociologue et professeure à la Haute école de travail social de Genève. Suite à une expérience d’immersion professionnelle menée dans deux foyers pour adolescentes et adolescents de la FOJ, au cours de laquelle la sociologue a questionné la place des écrans connectés en foyer, et suite au départ à la retraite du secrétaire général, l’opportunité de partager leurs constats et leurs réflexions s’est présentée et était trop belle pour ne pas être saisie. L’entretien sollicité par Claire Balleys a fait l’objet d’un travail de synthèse, de réécriture et de relectures, afin d’offrir aux lectrices et lecteurs de REISO une proposition de réflexion sur le présent et le futur du placement juvénile.

La première thématique discutée est celle de l’intégration des cultures jeunes et des cultures familiales dans les foyers, notamment via les nouvelles technologies de communication. L’arrivée d’Internet et, plus récemment, des smartphones, a modifié les manières de travailler des équipes éducatives. Que sait-on de ces changements et comment leur donner du sens dans l’accompagnement ? La deuxième thématique débattue est celle de la finalité du placement juvénile : est-il, aujourd’hui encore, un moyen institutionnel de gérer la pauvreté et les vulnérabilités ? Nous verrons au fil de l’argumentation que ces deux questionnements sont étroitement corrélés.

La dimension sociale, en particulier le rapport institutionnel à la culture populaire et à la culture juvénile, est pertinente dans les deux cas. Enfants et familles sont en effet porteurs d’une culture, c’est-à-dire d’une manière de faire et de penser (l’éducation, les liens, les routines du quotidien) qui ne correspond pas toujours aux perceptions et aux exigences des autorités. Il y a parfois l’expression d’un mépris de classe dans les demandes des autorités de réguler, encadrer, voire «rééduquer des jeunes». Un mépris de classe qui parfois s’incarne par un mépris vis-à-vis des pratiques culturelles et sociales des jeunes et de leurs familles.

Faut-il confisquer les téléphones ?

Une des premières questions discutées est celle de la régulation des écrans connectés en foyer. Les autorités ont souvent considéré la FOJ comme « laxiste » vis-à-vis de cette problématique. L’attente exprimée paraissait pourtant simple à satisfaire : retirer les téléphones la nuit, les confisquer en cas de problème, voire les interdire dans certains cas.

Olivier Baud Comme dans toute question d'éducation, je n'aime pas faire une norme unique qu'on applique de manière unique, parce que je pense que nous devons faire du sur-mesure. C’est un travail d'artisan qui va accompagner la question auprès de l'enfant. Celui qui gère son appareil, pourquoi on va le lui confisquer? Ils le disent eux-mêmes d’ailleurs. « Pourquoi tu veux me l'enlever, moi je le gère très bien! » Mais la FOJ a subi beaucoup de pressions. On a été perçu comme des laxistes. Moi, je voulais toujours que l'on accompagne vraiment en personnalisant nos actes vis-à-vis de la problématique du jeune. Pas en faire quelque chose de très réducteur. C’est comme pour la sexualité, avant on disait toujours : « Les relations sexuelles sont interdites ! Vous avez une question, non ? Fin de l'histoire, c'est bon, on s'arrête là ! » Aujourd'hui, il y a une idéologie qui veut que l'on mette des limites aux moyens numériques et qui ne pense qu'à limiter l'utilisation de l'objet.

Or, l’objet smartphone n’est justement pas qu’un objet qui aurait une fonction unique comme un couteau par exemple, ou une cigarette. Un couteau à cran d’arrêt est facile à interdire, car facile à circonscrire. La question éducative face à la régulation des smartphones est beaucoup plus complexe puisqu’il ne s’agit pas d’un simple objet, mais d’un outil de communication et de médiation.

Claire Balleys On souhaite limiter en effet, mais limiter quoi ? Mettre des règles à quoi ? À quels contenus, à quelles pratiques ? Limiter l’écoute de la musique, limiter le visionnement de séries, limiter les discussions avec les copains, limiter le partage de photos avec son amoureuse ou son amoureux, limiter les échanges médiatisés avec les éducs, limiter les conversations avec les parents ? Les pratiques numériques sont tellement diversifiées et plurielles ! On veut limiter l'utilisation d'un objet, mais il ne s'agit pas d'avoir accès ou non à une substance de consommation ! La cigarette c'est facile, tu fumes ou tu ne fumes pas, l'objet est très limité dans sa fonction. La cigarette n’a qu’une petite fonction identitaire (paraître cool, paraître grand·e ou paraître occupé·e) et elle permet une mise en relation limitée : entrer en communication pour demander du feu, éventuellement… On ne peut pas considérer l'usage des smartphones de la même manière, l'accès au smartphone c'est l'accès à la culture jeune, c’est l'accès à la sociabilité juvénile et c’est l'accès au réseau familial !

Comment identifier les frontières du foyer ?

La culture juvénile est aujourd’hui presque entièrement numérique. Sphères présentielles et sphères médiatisées sont interdépendantes et en conversation continue. Ce constat pose un autre défi de taille pour les équipes éducatives : le brouillage des frontières du foyer. En effet, auparavant, les frontières physiques du foyer coïncidaient avec ses frontières relationnelles et symboliques : il y avait un intérieur et un extérieur. Aujourd’hui, tout explose : les jeunes ont la possibilité d’être en conversation continue avec leurs réseaux de pairs et familiaux. Elles et ils peuvent être au foyer, sans y être réellement présent·e·s.

Olivier Baud Il faut mettre du sens et développer une pensée éducative autour de cette nouvelle réalité. Certain·e·s éducateurs et éducatrices sont « fâché·e·s » avec ces outils qu’ils et elles perçoivent comme « un filtre », voire un « bouclier » à la relation. Je pense que les outils numériques sont une remise en question si on ne les intègre pas comme tu le proposes dans la pédagogie éducative. Ils peuvent être vécus comme des instruments de mise en échec de la relation de l'éducateur auprès tant de l'enfant que des parents.

Claire Balleys Il faut aussi intégrer ces pratiques numériques à la réflexion éducative. Essayer de dépasser une vision réductrice de ce qu’elles représentent d’un point de vue social et identitaire. Lorsqu’un ou une jeune consulte son téléphone, l’adulte ne voit qu’un gamin absorbé par un écran. […] Moi, je vois quelqu’un qui écoute de la musique, quelqu’un qui regarde des photos de vacances, je vois quelqu’un qui discute avec sa mère, je vois quelqu’un qui regarde des vidéos tutorielles pour apprendre comment faire un costume d’Halloween, comme c’était le cas dans un des foyers dans lesquels j’ai travaillé, je vois quelqu’un qui a 50 activités différentes. 

Gérer le contenu et prévenir la délation ?

Il n’empêche, cette porosité nouvelle de l’enceinte du foyer change radicalement la relation parents-jeunes-équipes éducatives et entraîne une nouvelle forme de triangulation, avec laquelle il est complexe de travailler. Par exemple, des jeunes filles se filment en chambre en train de fumer des joints, puis postent des images sur Instagram. Un parent intercepte ces contenus puis interpelle l’équipe éducative, l’informant de ce qui se passe entre les murs du foyer ! Les outils numériques donnent ainsi un nouveau pouvoir d’agir aux parents, qui peuvent devenir « délateurs ». Les équipes éducatives sont confrontées à un nouveau type de dilemme, devant faire face à des jeunes qui enfreignent les règles du foyer et simultanément à des parents qui violent le droit à la vie privée de leur enfant. Comment réagir ?

Le professionnel du terrain estime que ces défis sont nouveaux dans la forme davantage que dans le fond. Il relate notamment l’histoire d’un père qui espérait que le foyer allait « couper » sa fille de « sa bande ». Or, à moins d’emprisonner la jeune fille, l’équipe éducative n’avait évidemment pas les moyens, ni probablement la volonté, d’essayer de satisfaire cette « pensée magique » qui prétend résoudre des problèmes relationnels et identitaires avec une interdiction bien ciblée.

Olivier Baud L’hyper-contrôle est inutile et génère encore plus de conflits. […] Nous avons été mis en grande difficulté quand un parent nous a dit qu'il fallait aller chercher sa fille qui avait fugué et qu’il l’avait géolocalisée. Il savait où elle se trouvait ! Nous, on doit se positionner en disant « non ce n'est pas à nous d'aller la chercher, nous avons fait un avis de fugue, donc c'est à la police d'aller la chercher si vous voulez. Donner l'information à la police si vous voulez, mais nous allons pas jouer l'intermédiaire. » Comme tu dis, la porosité des milieux est une réalité, tout est mélangé, c'est vrai. C'est le parent qui nous interpelle sans interpeller son enfant. Donc on est dans un triangle fou ! Et la seule chose qu'on peut faire, c'est de remettre le parent et l'enfant ensembles !

Tout au long des treize dernières années, la FOJ n’a eu de cesse de chercher et de mettre sur pied des alternatives au placement : Maison OBB (accueil parents-bébés), APMF (action préventive en milieu familial) , AEMO (action éducative en milieu ouvert) , AEMO d’urgence. On sait en effet, grâce notamment aux enquêtes du chercheur québécois Tonino Esposito [1], que plus un placement est précoce, plus il sera long. Et plus un placement est long, plus les difficultés sociales, scolaires et psychiques de l’enfant seront conséquentes.

La fracture sociale du placement juvénile

Les inégalités de classe sont également une réalité dans les processus de retrait de garde. La Maternité des HUG de Genève, par exemple, a mis en place un filet de sécurité pour repérer précocement les mères jugées «incompétentes». Ce dispositif a permis de déceler la majorité des situations à risque pour les bébés, en particulier nés de mères toxicomanes ou présentant des troubles psychiques. Or, ce dispositif n’a pas d’équivalent dans les cliniques privées du canton. Les familles issues des classes supérieures, pourtant pas épargnées par les maladies mentales ou les addictions, ont beaucoup moins de risques d’être inquiétées par les autorités que les familles vulnérables, issues des classes populaires et précaires. Si c’est le cas, elles auront davantage de moyens financiers pour se défendre et se faire défendre efficacement.

Ce dernier constat rejoint les précédents : la prise en charge institutionnelle ne peut faire l’économie d’une réflexion sur les populations qu’elle contraint, leurs appartenances sociales, leurs ressources et leurs compétences. La culture dont les jeunes et les familles sont porteuses doit est considérée dans toute sa complexité et son sens, afin d’éviter des directives stériles et inopérantes.

L’exemple des attentes de réglementation des pratiques numériques en foyer nous permet de donner une illustration de la fracture sociale qui caractérise encore le placement juvénile à Genève, et de présenter la vision de l’humain et en particulier de l’enfant que nous souhaitons continuer à défendre : celle d’un individu qui est à la fois en quête de sens et producteur de sens.

[1] Esposito, T., Trocmé, N., Chabot, M., Shlonsky, A., Collin-Vézina, D., & Sinha, V. (2014). The stability of child protection placements in Québec, Canada. Children and Youth Services Review 42(1), 10-19 pp.

Esposito, T., Trocmé, N., Chabot, M., Shlonsky, A., Collin-Vézina, D., & Sinha, V. (2013).

Placement of children in out-of-home care in Québec, Canada: When and for whom initial out-of-home placement is most likely to occur. Children and Youth Services Review, 35(12), 2031–2039 pp.

Comment citer cet article ?

Claire Balleys et Olivier Baud, «La culture numérique défie l’éducation sociale», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 12 mars 2020, https://www.reiso.org/document/5714

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