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Recension de Jean Martin / « L’éthique médicale au quotidien »

Mercredi 26.03.2014

The ethics of an ordinary doctor

Article de William T. Branch, Hastings Center Report, Jan.-Feb. 2014, 44, no. 1, 15-17.

L’éthique médicale au quotidien : un avis américain

Recension (et traduction) par Jean Martin

William T. Branch a été directeur de la médecine interne générale à l’Université Emory, Atlanta, grand centre académique des Etats-Unis. Il enseigne aussi les « medical humanities ». L’évolution qu’il décrit mérite qu’on s’y arrête : « J’étais étudiant puis résident en médecine dans les années 1960, époque où le statut de la médecine comme ‘système de croyance‘ avait atteint un sommet. Le décor avait été planté par plusieurs ‘miracles’, dont la découverte des antibiotiques et d’autres médicaments dans les années 30 et 40. Ma génération était entrée en médecine porteuse d’une véritable foi dans l’objectivité scientifique. Nos maîtres travaillaient dans les laboratoires et nous parlaient de consécration au travail et de sacrifice. »

Ne pas faire souffrir. « Epuisés par le manque de sommeil et par certaines pratiques futiles – qualificatif rarement utilisé à l’époque – mes collègues et moi nous battions jusqu’à la dernière extrémité pour sauver la vie de patients incurables et en phase terminale. Ces malades en souffraient énormément et je n’arrivais pas à réconcilier l’image idéaliste que j’avais de moi-même avec une réalité macabre : tel patient emphysémateux que j’avais intubé et transféré cinq fois en soins intensifs avant qu’il ne finisse par mourir ; une femme semi-comateuse après chimiothérapie, sans chance de survie et qui se débattait alors que je cherchais chez elle une voie veineuse ; un homme porteur de métastases multiples sur le thorax duquel je pompais furieusement. J’ai réprimé ces souvenirs durant près d’une décennie, incapable d’y réfléchir jusqu’à ce que je vive un côté plus humaniste de la médecine. »

« C’est quand nous avons rencontré une impasse, dans les années 1970, que les praticiens ont commencé à se poser des questions. Les améliorations en termes de respirateurs et de soins intensifs permettaient de faire vivre des patients terminaux des semaines et des mois encore, dans un était semi-conscient ou comateux, prolongeant leur existence d’une manière qui ne rimait à rien (pointless). Le caractère indigne de ces pratiques pour les patients et l’aggravation de leur souffrance étaient flagrants. »

C’est depuis lors, note Branch, que les compétences de communication, la bioéthique et plus tard les soins palliatifs on trouvé place dans la formation médicale.

Autonomie du patient, c’est lui qui peut juger de sa dignité. « Le fait de voir des patients perdre leur autonomie, perdre le contrôle et perdre eux-mêmes (loss of the self) m’a amené à une autre attitude. Nous pouvons traiter la douleur mais nous ne pouvons pas renverser le démantèlement de la personnalité à mesure que la maladie progresse. Qui a souffert – et est revenu – d’expériences qui menacent l’identité de la personne peut témoigner que c’est une horreur. »

Signification de la souffrance – Y a-t-il une bonne souffrance ? « Des sages ont cru que la souffrance a une signification spirituelle. Pour ma part je prétends que, nous devons être au côté de nos malades et nous opposer à leur souffrance. Nous devons être les avocats de ce qui leur fait du bien. » Dans le cas où le patient estimerait que c’est ainsi qu’on doit vivre, il ne s’agit certainement pas de lui refuser la liberté de supporter une situation de grande souffrance sans traitement optimal de la douleur. Mais ce qui n’est plus admissible c’est l’éventualité que les soignants imposent une telle vision aux malades ; en les ‘contraignant à souffrir’, par omission ou, pire, refus explicite d’une antalgie suffisante. Occasion de rappeler cette formule qui surprend certains : « En matière de soins, c’est d’abord la morale du patient qui compte, pas celle du professionnel. »

En Suisse. La situation « d’objectivité scientifique occultant l’humain » a-t-elle été comparable à ce qu’il dit des Etats-Unis ? Il se peut que cet aspect de « foi indiscutable dans le pouvoir de la médecine », menant à des pratiques ne considérant pas adéquatement la personne et ses propres besoins, y ait été plus marquée que chez nous. Mais les tendances étaient les mêmes. Et beaucoup pourraient dire comme lui : « Médecin ordinaire m’occupant de malades, j’ai fait l’expérience d’un virage de l’arrogance ou de l’orgueil scientifique (hubris) vers une attitude plus marquée par la compassion. »