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Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien

Quand la poésie se mêle à la thérapie

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Mathias Malzieu est un musicien et écrivain français. A fin 2013, alors qu’il a 41 ans, une maladie sanguine gravissime est diagnostiquée. Après des traitements infructueux, il a eu en octobre 2014 une greffe de moelle et est aujourd’hui en santé. Je l’ai entendu récemment avec grand intérêt à Morges au « Livre sur les quais » et ai lu son livre. Extraits de ce texte attachant aux multiples péripéties, hauts et bas, espoirs et désillusions.

Alors qu’il est en pleine carrière à succès dans le monde du spectacle (« je suis un drogué du panache, un homme-volcan »), il devient très fatigué et anémique. « J’ai toutes les difficultés du monde à m’extraire de mon lit, mon corps est collé au matelas. Mes muscles sont fatigués avant même de travailler. M’habiller me donne l’impression d’être un vieil haltérophile. » On trouve une aplasie médullaire sur une base auto-immune (d’où le « vampire » dans son titre). « Je mangeais mon propre sang. »

Il se sent prisonnier (par crainte d’infection, il doit éviter sorties et contacts) et prend des résolutions : « Je dois organiser ma résistance en mobilisant les ressources de l’imagination. Je vais travailler dur au rêve de m’en sortir. Trouver l’équilibre entre la rigueur d’un moine et l’énergie créative. Faire le con poétiquement dans le cadre austère du couvre-feu que je dois respecter. Doser l’espoir au jour le jour. Transformer l’obscurité en ciel étoilé. » Mais il est aussi confronté à des rêves angoissants : « Je sens comme un souffle sur mon épaule. Glacé. Je me retourne. Une silhouette féminine ondule dans ma baignoire, se lime les ongles avec une épée. Qui êtes-vous, lui dis-je… Je suis Dame Oclès ! » Dame Oclès qui souvent va resurgir, menaçante, tout au long de sa trajectoire de malade.

Alors même qu‘on le transfuse dans l’attente de la thérapie ultérieure, il veut répondre à des engagements professionnels auparavant planifiés. « Aujourd’hui, j’ai à nouveau fait semblant de ne pas être malade, et j’ai adoré. Le moindre bisou est plus dangereux pour moi qu’une promenade en jungle équatoriale, mais j’ai aimé l’échappée belle. Les mots qui réchauffent. Je suis un fantôme déguisé en moi-même. Mais minuit sonne déjà et le vampire que je suis doit retourner dans son pyjama. » Peu avant une hospitalisation (délai négocié avec les médecins), il assiste à la présentation de son premier long-métrage et est astreint aux mondanités médiatiques. « La projection démarre. J’en connais chaque plan par cœur, mais je le vois peut-être pour la dernière fois. Je m’arrange pour faire tomber les larmes à l’intérieur de mon crâne. J’aimerais ne pas avoir à me rendre au service de soins intensifs dans quatre jours. Mon sablier est presque vide (…) Des enfants toussent, éternuent, veulent des photos et des bisous. Je ne connais pas de façon plus fabuleusement douce de risquer sa vie. »

Des découvertes peu agréables. « Comment la maladie peut faire le tri au milieu de ceux qu’on croit être ses amis. Avoir un grave problème de santé ressemble au succès : cela modifie les comportements. Le bain révélateur de la maladie dévoile certains sous un visage étonnant : les bienveillants, les maladroits, les solides… Les sordides aussi. » « On reconnaît le chemin qui mène à l’hôpital aux joyeux commerces semés autour par le Petit Poucet de la mort - notamment les magasins de pompes funèbres. » « J’arrive dans un autre supermarché de la maladie, l’hôpital St-Louis. A l’entrée une charmante boutique de perruques et de prothèses mammaires. »

Durant son séjour d’une année à l’hôpital, il a trouvé très bons les soins et l’aide reçus par celles et ceux qui s’occupent de lui, le contact humain, l’écoute, le tact, l’humour parfois. Rencontrant le professeur avec qui il doit parler de sa greffe : « L’être humain sous une blouse blanche qui m’a reçu s’est adressé à moi tout à fait normalement. Un spécialiste de l’aplasie qui s’y connaît en empathie. Ou l’inverse. Présent, concentré, et on comprend ce qu’il dit. Pas de jargon. Juste de la science. Humaine. » Suite à un échange de plaisanteries avec une infirmière : « Elle a ce petit rire qui sonne comme un rire qu’on entendrait à l’air libre. Un rire de bar ou de cinéma. Incongru et tendre au milieu des sonneries des machines ».

L’auteur rend compte d’un an de traitements lourds et de contacts avec l’institution médicale et les soignants. Son récit d’une part retrace les moments, les scènes et les gestes, il est d’autre part profondément poétique. Tant sur la thérapie elle-même que sur son vécu, l’écrivain a beaucoup de trouvailles qui font sourire ou amènent une larme au bord de l’œil. Sûrement, nous avons besoin des poètes. Pour mieux apprécier ce qui se passe, ce qui nous arrive de bien ou de mal, d’agréable ou de lourd. Merci, poètes, continuez à nous décentrer, à nous enchanter souvent.

Editions Albin Michel

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Avec les résumés des présentations suivantes :

  • Les soins de longue durée dans l’optique du Conseil fédéral. Oliver Peters, Vice-Directeur OFSP
  • Prise de position concernant le rapport du Conseil fédéral. Barbara Gysi, Denknetz ; Hans Rudolf Schönenberg, Conseil suisse des aînés ; Marie-Louise Barben, Grossmütter Revolution
  • Visions du personnel. Marianne Meyer, Syndicat SSP ; Adi Durtschi, Syndicat Unia ; Sophie Ley, Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI)
  • Bonne pratique : l’exemple danois. Beat Ringger, Secrétaire général Denknetz
  • Bonne pratique : le modèle d’habitat et de soins 2030 de CURAVIVA Suisse. Camille-Angelo Aglione, Secrétaire romand CURAVIVA Suisse
  • Bonne pratique : l’exemple vaudois. Stéfanie Monod, Cheffe du Service de santé publique du Canton de Vaud

Les résumés en format word

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Le travail social participe centralement à l’évolution de nos sociétés contemporaines, tant du point de vue de sa contribution au problème de la vulnérabilité, de la proximité qu’il entretient avec la population, du dialogue qu’il nourrit avec d’autres champs que par les critiques qu’il suscite. De cet aspect polymorphe découle l’intérêt de le considérer, pour reprendre une expression de Nietzsche, « avec le plus grand nombre d’yeux possible ».

C’est dans une telle perspective que Thierry Gutknecht se propose de rendre compte de la complexité du travail social en empruntant au philosophe Michel Foucault certains concepts clefs – pouvoir, savoir, dispositif, gouvernementalité, etc. – ainsi que sa démarche de problématisation.

Il s’agit alors de « partir du bas », c’est-à-dire de la pratique et de textes de base (lois, référentiels, actes de journées thématiques, etc.) afin d’aborder certains aspects de ce champ en les posant comme problèmes demandant à être pensés d’un point de vue sociétal. Au final, le travailleur social se retrouve interpellé quant à la centralité d’une interrogation sur le devenir de la Cité ; autrement dit, se pose la question du positionnement, non seulement éthique mais aussi politique et sociétal, du professionnel.

Editions IES

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La formation professionnelle duale, au carrefour entre éducation et emploi, est représentative des tensions et enjeux propres à ces deux espaces. Cet ouvrage propose de la soumettre à une analyse de genre. Partant de la situation d’arrêts prématurés d’apprentissage, il questionne de manière plus large ce qui est produit et reproduit au cours de l’expérience apprentie. Il interroge la façon dont la socialisation professionnelle participe d’une socialisation de genre. La formation professionnelle est ici analysée comme un lieu d’acculturation au travail, en particulier à l’un de ses piliers : la division sociale et sexuelle du travail. Cette grille de lecture donne l’occasion de réfléchir au statut des apprenti-e-s, à leur position particulière dans l’organisation du travail. L’analyse de cette « fabrique du genre » permet d’expliquer le maintien des inégalités de sexe. Par ses questionnements, ce livre fait intervenir la sociologie de l’éducation et du travail, ainsi que les études genre et interroge, au-delà des seuls arrêts prématurés, des enjeux centraux de la formation professionnelle suisse.

Nadia Lamamra est docteure ès sciences sociales de l’Université de Lausanne, où elle a enseigné les études genre. Elle est responsable du champ de recherche « Processus d’intégration et d’exclusion » à l’Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (EHB IFFP IUFFP). Elle est membre du comité de rédaction de la revue Nouvelles Questions Féministes.

Editions Seismo

Recension par Jean Martin, médecin de santé publique

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Helvetas consacre un numéro de son magazine à l’envol numérique. Le nombre de personnes utilisant un portable n’augmente nulle part aussi vite qu’en Afrique. Un interlocuteur du Mali : « On s’attendait à ce que ce soit la classe moyenne qui se jette sur ce moyen mais cela a été le fait des artisans, des vendeuses au marché, des conducteurs de camions. » En 2012-2013, lorsque des rebelles islamistes ont occupé le nord du pays, « des stations de radio ont été alimentées en informations [bien utiles] par des utilisateurs de mobile (…) Lors d’élections, c’est un outil de lutte important contre les fraudes électorales. » Il permet de faire circuler l’information malgré censure et répression.

Les autorités utilisent la téléphonie mobile pour renseigner les citoyens sur de multiples sujets, y compris dans des urgences comme l’épidémie d’Ebola. « La formation est aussi bouleversée. Ce qui nécessite souvent des années pour les manuels scolaires est réalisé en temps réel dans les médias électroniques. » Risque de clivage entre ceux qui en disposent et les autres ? « L’accès à l’informatique est bien plus large et profond que pour les anciennes technologies. En Afrique, 600 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité, mais sept personnes sur dix ont un portable. » Incroyable mutation : le magazine rappelle que, dans les années 1970-1980, la communication entre la Suisse et les pays partenaires, pour Helvetas par exemple, se faisait par courrier postal ; aujourd’hui c’est un simple clic. Sont décrits des projets informatiques en Bosnie, un de formation et un autre de promotion du tourisme. Les échanges que permet l’électronique représentent un instrument précieux dans la sensibilisation à l’endroit de problèmes sociaux répandus comme les mauvais traitements infligés aux femmes – et dans la lutte et la prévention dans ces domaines.

En médecine, en épidémiologie et santé publique entre autres, le numérique fournit des moyens d’approcher et de comprendre la complexité mieux et tellement plus vite. Big Data permet le traitement de masses énormes de données, avec de multiples variables, mettant à jour des corrélations de façon inimaginable auparavant. La branche pharma n’est pas en reste : Novartis a décidé de soutenir la mise en place d’un réseau planétaire de données sur la santé et crée des applications pour téléphone portable pour les patients (1). De son côté, Bertrand Kiefer consacre un récent article aux questions liées à la recherche et met en garde : « A la suite de l’ensemble des sciences, et sans pitié pour les anciens pouvoirs, les données s’apprêtent à révolutionner la médecine. Mais ces données sont objet de trafics, de combines (…) Un changement de paradigme éthique devrait accompagner la médecine numérique. Il s’agit de considérer les données en santé récoltées dans la population comme faisant partie des ‘commons’ de l’humanité. Les ‘commons’, ce qui fait la valeur du monde et n’a pas de propriétaire. Tout cela est menacé » (2). C’est à l’évidence aujourd’hui un problème majeur : ce qui devrait être des patrimoines communs/partagés de l’humanité (y compris des générations à venir) est trop souvent mis en cause par des évolutions privatisantes, où tout devrait être lucratif.

1. Thöni Th. Novartis se lance dans la révolution Healthcare 4.0. 24 heures (Lausanne), 30 août 2016, p. 11.

2. Kiefer B. Le nouveau monde de la recherche clinique. Revue médicale suisse 2016, 12,1400.

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