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«L’anthropocène n’est pas réversible»

Jeudi 15.02.2024

Cette ère géologique est caractérisée par des changements globaux imputables aux activités humaines. Interview de Sébastien Castelltort, professeur au Département des sciences de la terre de l’UNIGE.

castellfort sebastien unige anthropocene durabilite reiso 170Sébastien Castellfort © buzzmedia(REISO) De tout temps, les activités humaines ont modifié la planète. Le concept d’anthropocène est-il facile à dater ?

(Sébastien Castelltort) Effectivement, mêmes les hommes des cavernes, par leurs activités de chasse ou de cueillette, ont changé leur environnement. Cela n’était cependant pas notable de façon globale, mais restait local. L’anthropocène désigne cette période à partir de laquelle les activités humaines ont eu des répercussions sur l’ensemble de la planète, observables dans les sédiments ou le fonds des océans, entre autres. Cette ère géologique ne commence cependant pas à un instant précis, c’est plutôt une trajectoire au cours de laquelle l’influence de l’homme devient de plus en plus intense. Par analogie, l’extinction des dinosaures ne s’est pas faite au moment exact où un astéroïde a frappé la planète, cela a sans doute pris un certain temps avant qu’ils ne disparaissent tous.

L’anthropocène fait-il uniquement référence aux changements climatiques et au réchauffement ?

Non, il inclut l’érosion de la biodiversité, la pollution des océans par les plastiques et la chimie, la déforestation qui a un impact sur l’érosion des sols et sur le cycle de l’eau, entre autres. Évidemment, les gaz à effet de serre font aussi partie du problème, tout comme l’empreinte des activités humaines sur le territoire. Nous avons pris la place d’autres espèces. L’élevage et l’agriculture modifient complètement l’équilibre du vivant.

anthropocene reiso 400 edwardoliveadobestock© Edwardolive / Adobe StockPar le passé, la terre a déjà connu de grandes modifications planétaires. Les climatosceptiques pensent que ce que l’on vit actuellement n’est qu’un épisode parmi d’autres. Qu’en pensez-vous ?

Les événements que l’on a connu ces dernières années ne font pas partie d’un cycle naturel de la Terre. En outre, il est insensé de dire que lors des épisodes précédents, tout s’est bien passé. Du point de vue des espèces qui se sont éteintes, « tout ne s’est pas bien passé ». Aujourd’hui, les êtres humains, comme l’ensemble du vivant, sont menacés et il est donc de notre responsabilité de mettre en place des mesures pour limiter les dégâts déjà importants infligés à notre planète. Nous avons pris un retard énorme !

Concrètement, pourra-t-on revenir en arrière et entrer dans une nouvelle ère post-anthropocène ?

Non, ou en tous cas pas rapidement. Mais il faut agir et arrêter de relâcher du CO2 dans l’atmosphère. Ce gaz a un temps de résidence élevé, on ne pourra donc pas changer les choses du jour au lendemain. Inévitablement, notre façon de vivre grâce au pétrole va évoluer puisque cette ressource va se tarir. Aujourd’hui, il nous apporte du bien-être car il permet de faire beaucoup de choses impossibles sans lui. Il faudra donc le remplacer par d’autres sources d’énergie pour que les activités dont il dépend perdurent.Mais indépendamment de ces changements inévitables, nous devons apprendre à consommer moins. Notre bonheur dépend trop des biens de consommation.

Ces changements globaux nous affectent toutes et tous, nous sommes lié·es par cette même planète et nous allons devoir accueillir de plus en plus de réfugié·es climatiques

Est-il cependant possible de limiter l’impact négatif sur l’écosystème des activités humaines ?

Des moyens technologiques existent, mais ils ne sont que palliatifs. Nous pouvons capter le CO2, protéger les zones inondables, couvrir de bâches les glaciers, entre autres. Ces mesures d’adaptation coûtent souvent très cher et comme les changements vont très vite, elles ne sont pas toujours efficaces. Mieux vaut prévenir, plutôt que d’agir après que le mal soit fait.

Tous les peuples ne sont pas égaux face à ces bouleversements. Comment rétablir une justice climatique ?

Effectivement, certaines populations plus précaires sont plus vulnérables que d’autres, et comme elles résident souvent dans des pays en voie de développement, elles ne sont pas forcément au cœur des préoccupations politiques. Cependant, ces changements globaux nous affectent toutes et tous, nous sommes lié·es par cette même planète et nous allons devoir accueillir de plus en plus de réfugié·es climatiques. Lorsque les Etats-Unis et l’Europe annoncent qu’ils ont diminué leurs émissions de CO2, c’est aussi parce qu’une grande partie des biens consommés ici sont davantage produits en Chine ! La redistribution des richesses fait partie des solutions socio-économiques, mais les pays riches craignent que cela se fasse via un nivellement par le bas qui serait délétère pour l’économie. La prospérité des pays lointains et des populations les plus pauvres devrait nous concerner bien davantage, tout comme les plages à l’autre bout du monde qui se transforment en décharges !

Des projets de recherches au sein de votre département sont-ils en court pour trouver des solutions ?

Oui, notamment à l’Institut des sciences de l’environnement. Ce sont des études très interdisciplinaires qui prennent en compte les facteurs psycho-sociaux des changements actuels. Quels sont leur impact sur les populations, quel est le ressenti du public, quelles sont les mesures que les politiques peuvent implanter… Si rien ne change, nous allons être de plus en plus touché·es par des évènements météorologiques extrêmes. Ceux-ci auront des conséquences sur l’économie, car les glissements de terrain, les inondations et les canicules coûtent énormément à la société. Pour conserver le bien-être social et écologique, nous pouvons tou·tes agir par des petits gestes au quotidien.

Vous faites référence au tri des déchets, à la mobilité douce, à la consommation de produits locaux ?

Oui, mais pas seulement. Si nous passions plus de temps à réfléchir, à lire, plutôt qu’à consommer à tout va, nous serions tout aussi heureux et heureuses, et moins pollueur·ses. Une autre piste à explorer est le potentiel de croissance dans les domaines de la santé et de la nutrition, notamment dans les pays en développement. Une meilleure hygiène de vie, une meilleure alimentation seraient une forme de croissance plus vertueuse pour le bien-être global et celui de la planète.

(Propos recueillis par Yseult Théraulaz)


Pour aller plus loin

  • En 2023, le dossier thématique de REISO consacré à la durabilité a exploré les notions de justice sociale, réfugié·e climatique, limites planétaires, urgence climatique, etc. Voir les articles
  • En décembre 2023, le magazine Campus, de l'Université de Genève, a consacré l'un de ses numéros à la notion d'anthropocène et aux enjeux qui y sont liés. Lire le magazine