Une motion déposée cette semaine vise à restreindre les soins aux mineur·es présentant une dysphorie de genre. Les professionnel·les concerné·es rejettent fermement cette instrumentalisation de la santé. Interview.
(REISO) Le communiqué de Transgender Network Switzerland insiste sur le fait que la motion déposée auprès du parlement national ne repose sur aucun argument médical ou juridique solide. En tant que professionnelle de ce domaine, qu’en pensez-vous ?
© Agnodice(Adèle Zufferey[1]) Il y a plusieurs niveaux qui se superposent au sein de cette motion et qui questionnent en effet sur ses fondements. Premièrement, il y a une confusion en ce qui concerne les « opérations de réassignation sexuelle ». En effet, pour beaucoup, la motion parle ici des opérations liées aux organes génitaux, alors que ce type d’opérations ne sont pas accessibles avant la majorité. Les rares opérations possibles avant la majorité, et qui doivent être évaluées et validées par différent·es professionnel·les et la famille, sont des chirurgies du torse, appelées torsoplasties, pour de jeunes garçons trans[2].
Ce flou est destiné à provoquer une inquiétude au sein de la population afin de donner l’impression que beaucoup de jeunes sont opéré·es au niveau des organes génitaux. Pourtant, en parallèle, on invisibilise totalement les réalités des enfants intersexes[3] qui peuvent être opéré·es des organes génitaux à la naissance, alors que les associations de personnes concernées luttent contre ces interventions, considérées comme des mutilations génitales. Ainsi, si l’inquiétude portait réellement sur les interventions chirurgicales génitales chez les mineur·es, c’est plutôt sur le cas des enfants intersexes que l’on se pencherait.
Deuxièmement, la Commission nationale d’éthique s’est positionnée à la fin de l’année 2024 sur les recommandations quant aux traitements médicaux des mineur·es transgenres et non binaires[4]. Ce document d’une quarantaine de pages permet une analyse éthique fine et pondérée des réalités cliniques, médicales, psychologiques et sociales de ces types d’accompagnements. Il établit clairement que la restriction d’accès à ces soins ne peut se justifier par des bases éthiques, mais — comme tous types de traitements médicaux — qu’ils doivent être évalués par des professionnel·les formé·es, à la lumière du modèle de la décision médicale partagée, avec un focus sur l’accompagnement individuel et familial de ces jeunes.
Ainsi, le parallèle qui est fait sur l’âge de vote ne fait pas sens car, au niveau de la loi suisse, la capacité de discernement d’une personne, à la base de la décision médicale partagée, n’est pas définie par la majorité légale. Il s’agit ici encore d’une confusion à dessein de donner une impression d’une incapacité homogène de prendre des décisions pour soi de la part des adolescent·es et qui disparaitrait spontanément passé l’âge de 18 ans.
C’est en échangeant, en informant sur la base des pratiques, ainsi que sur les faits validés scientifiquement que l’on peut rassurer.
En résumé, cette motion représenterait une forme d’ingérence dans les pratiques médicales qui sont déjà encadrées par des protocoles internationaux et nationaux. La politique ne devrait pas interférer dans les pratiques de santé qui sont déjà soumises à des réglementations strictes des règles de l’art et qui sont évaluées par les associations professionnelles nationales.
Concrètement, quelles sont vos expériences avec les mineur·es présentant une dysphorie de genre ?
En pratique, depuis 2016, la Fondation Agnodice a accompagné entre 450 et 500 familles avec des jeunes concerné·es par ces questions, de toute la Suisse romande. Le travail psychosocial et psychothérapeutique fait partie des pierres angulaires dans le soutien de ces jeunes, ainsi que de leurs proches. Il est fondamental de pouvoir travailler de manière systémique, avec la personne concernée et sa famille, ainsi que de manière pluridisciplinaire avec les différent·es professionnel·les qui se retrouvent autour de la situation (notamment pédopsy, pédiatre, professionnel·les du scolaire, du social).
Il ne faut pas s’imaginer que les traitements médicaux sont pris à la légère et que leur accès est « facile » — ce que sous-entend d’ailleurs cette motion. En effet, il y a plusieurs professionnel·les, de différents champs de compétences, qui sont impliqué·es dans ces suivis et la décision médicale partagée appelle rigueur et encadrement.
Si ces dix dernières années m’ont appris une chose, c’est qu’il n’y a pas de parcours type et que toutes les situations sont individualisées, les cadres adaptés aux réalités des personnes concernées, de leurs environnements, de leurs proches, ainsi que des systèmes de santé. Il n’y a pas de traitements médicaux expéditifs et non évalués. Les parcours peuvent être très longs et parsemés de nombreux obstacles.
Quel message adresser aux professionnel·les de la santé et du social qui seraient préoccupé·es que des mineur·es reçoivent un traitement médical en lien avec une dysphorie de genre ?
J’entends que, vus de l’extérieur et avec toutes les informations distordues que l’on peut lire un peu partout, ces accompagnements peuvent inquiéter les professionnel·les qui ne sont pas (in)formé·es autour de ces thématiques. Il est fondamental de pouvoir les rassurer quant aux compétences et à l’expertise de celleux qui travaillent au contact des personnes concernées, ainsi que de pouvoir faire de la sensibilisation de manière plus large en répondant clairement à toutes les questions qui sont fréquemment soulevées.
Il est fondamental que plus de professionnel·les puissent se former autour de ces thématiques.
C’est en échangeant, en informant sur la base des pratiques, ainsi que sur les faits validés scientifiquement que l’on peut rassurer. Il nous arrive très régulièrement qu’à la suite des formations que l’on propose pour les professionnel·les, celleux-ci nous fassent des retours très positifs quant à une meilleure compréhension des enjeux et des parcours, mais également l’éclairage que cela apporte sur les pratiques réelles auprès des jeunes.
En tant que professionnel·le de la santé ou du social, à quoi y a-t-il lieu de porter particulièrement attention dans le contexte actuel ?
Il est très important de poursuivre le travail et de continuer le soutien apporté à ces jeunes, notamment dans les dimensions psychologiques et sociales. Le climat politique actuel, ainsi que l’augmentation des violences à l’égard de cette population s’accompagne d’un coût psychique important. Nous observons une augmentation significative des inquiétudes et — in fine — de l’anxiété vécue, autant par les jeunes que par leurs proches. Fort·es de ce constat, nous devons leur permettre un accès à des espaces d’accueil et de soutien afin de les accompagner à travers ces temps d’incertitudes.
Il est également fondamental que plus de professionnel·les puissent se former autour de ces thématiques afin d’élargir l’éventail d’accès aux soins que certains groupements cherchent à limiter. Les intimidations, l’attisement des peurs et les attaques politiques entravent les professionnel·les expert·es et dissuadent les novices à approfondir leurs connaissances au service de ces jeunes.
[1] directrice et psychologue responsable clinique de la Fondation Agnodice, dont la mission est de promouvoir une société considérant la pluralité des genres et de leurs expressions comme une richesse relevant de la diversité humaine
[2] personnes dont le sexe a été assigné au féminin à la naissance et dont l’identité de genre est masculine
[3] dont les caractéristiques primaires et/ou secondaires ne rentrent pas typiquement dans les phénotypes mâles ou femelles
[4] prise de position sur le traitement médical des personnes mineures présentant une dysphorie de genre, 16 décembre 2024, Commission nationale d'éthique dans le domaine de la médecine humaine
(Propos recueillis par N. Berger)
Consulter le communiqué « Large opposition aux restrictions arbitraires pour les jeunes trans » et la fiche d’information « Prise en charge des jeunes personnes transgenres dans le système de santé » de Transgender Network Switzerland.
Consulter le site internet de la Fondation Agnodice, notamment la section consacrées aux ressources pour les professions de la santé, du scolaire et du social.