En Valais, des ateliers sensibilisent les adolescent·e·s aux enjeux des réseaux sociaux. Plus que jamais d’actualité, la démarche est saluée par les enseignant·es et les professionnel·le·s du travail social.
© Creative Christians / UnsplashSensibiliser et responsabiliser les jeunes, pour leur offrir la possibilité de se connecter au monde sans se couper de la réalité : telle est l'initiative de Fabian Lenggenhager, maître d’enseignement HES. Après avoir mené une recherche en 2013, celui qui est aussi coordinateur de l’option animation socioculturelle de la HES-SO Valais-Wallis a poursuivi sans relâche ses investigations sur les risques et opportunités du Web 2.0 pour les jeunes Valaisan·nes.
Depuis, il ne cesse d’enrichir ses travaux par le biais d’ateliers de prévention menés auprès d’adolescent·es, principalement dans la partie germanophone du canton. Ces mises à jour régulières permettent de coller au plus près des réalités actuelles de l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux par les jeunes, le tout via une approche ludique et participative. « Je compare souvent les réseaux sociaux à la conduite d’un véhicule : les deux pratiques peuvent être risquées. Or, pour la voiture, une formation est obligatoire. Pour les réseaux sociaux, il n’existe aucun apprentissage structuré », souligne le chercheur.
Ce travail de prévention repose sur une collaboration étroite entre les établissements scolaires, les enseignant·es, ainsi que les professionnel·les de la santé et du travail social. À l’image de l’École de commerce et de culture générale de Martigny, des établissements proposent une demi-journée de formation aux élèves et aux enseignant·es, en partenariat avec la Haute école et École supérieure de travail social à Sierre.
Lors de ces ateliers, les élèves sont invité·es à réfléchir à leur comportement numérique. Quels risques courent-ils·elles ? Quelles opportunités offrent ces plateformes ? Ces temps de réflexion collective contribuent aussi à valoriser les effets positifs des réseaux sociaux, comme leur rôle dans la socialisation des personnes en situation de handicap, « mais aussi chez celles qui ne répondent pas visuellement aux normes dominantes de notre société », relève Fabien Lenggenhager. Qui complète : « Les réseaux sociaux peuvent devenir des espaces d’expression, de valorisation de soi et d’apprentissage, offrant à chacun·e un espace de visibilité et d’expression. »
Mais encore faut-il savoir identifier les dangers pour pouvoir s’en prémunir. La sensibilisation passe ainsi par des exemples concrets. L’un d’eux consiste à demander : « Qui est d’accord pour que je tape son nom sur internet et que je partage à la classe ce que je trouve ? » Si les volontaires sont rares, ils et elles prennent conscience de la portée de leurs publications, partagées potentiellement avec des millions de personnes, de manière percutante.
Les ateliers se fondent sur les données récoltées chaque année auprès de plus de 670 adolescent·es issu·es de classes secondaires et de formations préparatoires au CFC. Ces chiffres révèlent des réalités préoccupantes :
Le temps d’écran interpelle également : parmi 656 répondant·es, 310 adolescent·e·s indiquent un temps de 4 heures par jour, 179 y consacrent 5 heures, 88 personnes 7 heures, une heure de plus pour 27 répondant·es, 14 admettent y être 10 heures par jour et enfin, 38 adolescent·es passent plus de 10 heures par jour sur leur écran.
Pour limiter les usages excessifs et prévenir les effets délétères, Fabian Lenggenhager préconise plusieurs gestes simples : désactiver les notifications, faire du sport, éviter de garder le téléphone à portée immédiate ou de l’utiliser la nuit.
Les pratiques nocturnes soulèvent en effet de nombreuses préoccupations. Sur 654 jeunes interrogés, 83 gardent leur téléphone directement sur le lit, 281 à côté du lit, 177 dans la chambre, et 113 en dehors de la pièce, souvent parce que les parents ne l’autorisent pas.
Bonne nouvelle cependant : 350 activent le mode veille ou nuit et 152 l’éteignent totalement. Seules 56 personnes dorment avec leur téléphone en mode vibration, et 55 en mode son et vibration. Ces choix témoignent d’une prise de conscience croissante face aux risques liés à la lumière bleue ou à l’exposition prolongée aux ondes électromagnétiques générées par les appareils mobiles.
La question de l’usage des réseaux sociaux par les jeunes soulève des inquiétudes légitimes en matière de santé mentale, de cyberharcèlement, de protection de la vie privée, de pédopornographie ou encore de dépendance. En France, Emmanuel Macron a récemment plaidé pour l’interdiction des réseaux sociaux avant 15 ans, sauf si une régulation européenne est adoptée. Cette annonce s’inscrit dans un ensemble de mesures destinées à mieux protéger les mineur·es.
Au niveau européen, plusieurs textes cherchent à encadrer davantage les usages numériques des jeunes. Le Digital Services Act (DSA), en vigueur pour toutes les plateformes numériques depuis février 2024, leur impose des obligations de transparence, notamment en matière de modération des contenus et de protection des mineur·es. Par ailleurs, le débat se poursuit sur l’instauration d’un âge numérique minimum, et sur la mise en place d’une vérification d’identité obligatoire pour accéder à certains services. Ces mesures visent à limiter les risques d’exposition à des contenus violents, à la désinformation ou encore à la cyberviolence, tout en respectant les droits fondamentaux des adolescent·es.
En Suisse, plusieurs acteur·trices de la protection de l’enfance appellent également à renforcer rapidement la régulation de l’usage des réseaux sociaux par les jeunes, sans aller jusqu’à l’interdiction. L’accent est plutôt mis sur la transparence des algorithmes, la gestion des données personnelles et la publicité ciblée, qui touche fortement les adolescent·e·s. UNICEF Suisse, Action Innocence ou encore la plateforme fédérale Jeunes et médias prônent une approche fondée sur les droits de l’enfant, le développement des compétences médiatiques et une coresponsabilité entre familles, écoles et acteur·trices numériques.
De son côté, le Préposé fédéral à la protection des données insiste sur la nécessité de minimiser les données collectées et de renforcer la responsabilité des plateformes en cas de non-respect des règles.
Fabian Lenggenhager plaide également pour une approche éducative centrée sur les usages. « Interdire les réseaux sociaux aux jeunes reviendrait à nier leur place dans les sociabilités contemporaines. L’enjeu est de les accompagner vers une posture critique et responsable. »
(Par Mélissa Henry)