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Recension par Jean Martin / « Les abus sexuels », de Florence Thibaut

Mardi 10.05.2016

Les abus sexuels

Des clefs indispensables pour comprendre, aider et prévenir. Florence Thibaut, Paris : Editions Odile Jacob, 2015, 236 pages.

Recension par Jean Martin, médecin de santé publique

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« L’histoire de la violence sexuelle remonte aux origines de l’humanité, il a pourtant fallu attendre [jusqu’à récemment] pour que les victimes, en très grande majorité des femmes ou des fillettes, voient leur statut de victimes puis leur souffrance psychologique davantage reconnus. (…) On se heurte au mur du silence des victimes ; moins de la moitié d’entre elles parlent de leur agression et seulement 10% osent porter plainte ; elles continuent trop souvent à endosser la culpabilité du viol (…) C’est pourquoi il est très important de laisser une large place à leur parole. »

Florence Thibaut, professeur de psychiatrie et d’addictologie à l’Hôpital Cochin, Paris, dresse un état des lieux et donne un aperçu historique, des définitions, des indications du registre anthropo-sociologique, puis un panorama de la violence sexuelle en termes chiffrés. Elle analyse les raisons qui font que les victimes restent si souvent muettes et que les professionnels ne déclarent pas systématiquement les situations. Elle présente également une typologie des agresseurs et des diverses paraphilies (anciennement dites perversions).

L’auteure aborde ensuite la pratique : quand faut-il penser à une agression, chez un enfant, un adolescent ? Le point de vue des victimes est suivi au fil de leurs réactions psychologiques, immédiates et à long terme, et à leur prise en charge par diverses méthodes. L’ouvrage termine avec la législation et les aspects judiciaires, le renforcement récent des droits de l’enfant et de sa protection, l’aide aux victimes et la prévention, y compris l’identification précoce des situations à risque et la problématique internet. Plusieurs annexes complètent l’information pratique, sur les modalités de signalement, le secret médical auquel il peut être dérogé, l’examen médical et le recueil des preuves. Soulignons l’importance des certificats médicaux, qui doivent rapporter aussi fidèlement que possible les paroles de la victime (entre guillemets), mais ne doivent faire état par ailleurs que de faits objectivement constatés. Plusieurs points à garder aussi à l’esprit :

  • La survenue d’abus ne dépend pas de manière importante du milieu social.
  • Le viol entre époux est maintenant condamnable dans la plupart des pays.
  • L’importance aggravante d’un rapport d’autorité ou de dépendance entre abuseur et victime est unanimement reconnue.
  • Le risque est accru de devenir un abuseur si l’on a été soi-même abusé.
  • La gravité des conséquences morbides et comportementales possibles et des risques de récidive.

Pédophilie. « Dans la plupart des cas, les signes sont indirects et très peu spécifiques. Ce qui doit alerter, c’est une modification importante du comportement de l’enfant, dans son milieu familial ou scolaire, ne pouvant être expliquée par un évènement identifiable. » Thibaut aborde aussi la question de la crédibilité de l’enfant.

Soin et justice. « Le thérapeute ne peut pas faire l’impasse sur l’importance, sur le plan symbolique et dans la réalité, de la réparation judiciaire. Il est nécessaire dans la prise en charge de se référer à la loi, sans jamais se substituer à la justice. La justice ne s’attache qu’aux éléments factuels, la médecine en revanche se doit de considérer, au-delà des faits, l’immense souffrance de la personne. »

La parole. « Difficile pour la victime de faire un choix, sachant que se taire ou parler peut aboutir à la même conséquence : la mort sociale. » Pour l’inceste, des auteurs parlent d’assassinat psychique. On sait la difficulté écrasante, en cas d’inceste, de briser ce « secret entre nous » (abuseur dixit), vu comme une trahison…

Les pistes d’intervention. 1) Mettre en place des centres pluridisciplinaires spécialisés dans l’accueil et l’examen (pôles de référence) ; c’est heureusement un domaine où des progrès visibles sont réalisés, sous l’égide de la médecine légale souvent. 2) « Les soins apportés aux agresseurs sexuels eux-mêmes sont un élément clef dans la réduction du nombre d’abus. » La formation dans ce but d’équipes compétentes permettra de limiter les récidives (un tel centre s’ouvre à Lausanne au printemps 2016). 3) Un rappel qui devrait aller de soi : « Il est très important, pour prévenir, de renforcer les programmes d’éducation sexuelle, et d’insister sur la nécessité d’un consentement entre partenaires lors d’une relation. »

En résumé, un ouvrage présentant, sous une forme aisément compréhensible et maniable, l’essentiel des informations utiles sur une problématique majeure et les manières de l’identifier, de la prendre en charge et, dans toute la mesure du possible, de la prévenir.

Editions Odile Jacob

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